1 mars 2024

Chumbo


Vient de reparaître au format poche, par la grâce des éditions de L’Antilope, le roman K. du Brésilien Bernardo Kucinski, une traduction qui se trouvait depuis peu indisponible*.

L’histoire d’une disparition, et d’une quête, au plus sombre de ces années de plomb abordées dernièrement dans un bien beau roman graphique (Chumbo de Matthias Lehmann, 2023).
Un travail subtil et délicat de mémoire, mené à tâtons, par fragments et coups de sonde, au gré dun dispositif d’écriture particulièrement concerté et inventif.
Une plongée fascinante dans l’histoire récente du Brésil, autant qu’un récit-témoignage à la portée universelle.





Pour l’occasion, on écoutera avec profit le long entretien, passionnant, poignant, que Bernardo Kucinski avait accordé en 2016 à Kathleen Evin dans l’émission «L’humeur vagabonde», sur France Inter (par ici).


* Première édition en 2016 chez Vents d’ailleurs, dans la collection «Pulsations» dirigée par Jean-Pierre Orban.

30 juin 2023

Un peu de lecture (en portugais) à propos de la littérature prolétarienne au Brésil


L’illustre revue en ligne Opiniães (Revista dos alunos de literatura brasileira), de l’Université de São Paulo (USP), vient de lancer son n° 22 (janvier-juin 2023) et consacre un dossier thématique, « As mãos das obras », aux représentations des travailleurs urbains dans la littérature brésilienne.
Avec ça, le comité éditorial entend bien célébrer les 90 ans des deux premiers romans prolétariens (l’un déclaré, l’autre plus dubitatif) parus au Brésil, presque concomitamment en 1933 : Cacau, romance de Jorge Amado, certes, mais aussi… Parque industrial, romance proletário de Patrícia Galvão (Pagu), publié six mois plus tôt. Eh oui.

Or ce n’est pas sans joie que l’on s’est vu invité à redonner quelque essai, jadis écrit – première version – pour l’édition française du roman (Parc industriel, prologue de Liliane Giraudon, trad., notes et postface de A. C., Montreuil, Le Temps des Cerises, 2015), puis – deuxième version – revu, augmenté, actualisé et adapté, traduit en portugais, pour une nouvelle édition brésilienne du même (Parque industrial, préface d’Augusto de Campos, notes et postface de A. C., postface de Kenneth D. Jackson, São Paulo, Linha a Linha, 2018), laquelle édition dut tôt quitter les librairies brésiliennes pour de sombres raisons, devenant une rareté introuvable et laissant la place à une autre réédition, médiocre et même fautive celle-là.
Mais un public avide d’érudition réclamait un accès illimité à une postface qui apporta, faut-il croire, quelque épatante nouveauté sur un sujet qu’on n’a pas fini de reconsidérer. Comme de juste, on a profité de l’auguste occasion pour produire, bel et bien, une troisième version de cette étude qui, ma foi, comptait peut-être autant de faiblesses que d’admirateurs.

Ce qui peut laisser à penser qu’une quatrième version accompagnera un de ces jours une nouvelle édition, revue et corrigée, de la traduction française – tant il est vrai que les travaux de A. C. souffrent hélas d’une certaine obsolescence éditoriale (ce n’est pas faute de leur associer de fameux préfaciers, comme on le voit supra). Les spécialistes en génétique textuelle en perdront leur latin. En attendant cette catastrophe, ceux qui lisent le portugais peuvent déjà mettre à jour leurs connaissances sur Pagu* et ce stupéfiant roman prolétarien, mais aussi féministe, mais aussi moderniste, bancal à souhait, radical en tout, et propre à faire pâlir le père Amado. Eh oui.

Bref, c’est tout plein de curiosités pour les curieux, ça s’intitule « “Uma excelente estreia” : a chegada do romance proletário ao Brasil » et ça se lit dans la partie anthologique de la revue en tournant les pages 187 à 226, juste après un article de Walnice Nogueira Galvão sur la même matière et juste avant un article de Edvaldo A. Bergamo sur l’amadien Cacao, si on veut bien faire comme si que c’était une vraie revue en papier.

* Par ailleurs on apprend aujourd’hui même, de source autorisée, que l’œuvre journalistique de Patrícia Galvão, compilée par Kenneth D. Jackson et annoncée de longue date, devrait enfin paraître en 2023, dans une édition électronique en quatre volumes chez Edusp (les presses de l’USP).

5 juin 2023

Rions un peu, avec Cendrars et Oswald de Andrade


« “Permettez-moi de rire !” Les formes du comique dans l’œuvre de Blaise Cendrars »
Mais oui, c’est l’intitulé du colloque international qui se tiendra ces jeudi 8 et vendredi 9 juin à l’Université Lumière Lyon 2.

On ne manquera pas, vendredi matin dans la session « Accommoder le rire en poésie » (modérée par Manon Julian), la communication de Michel Riaudel : « Cendrars, Oswald de Andrade et “le poème-blague” ».

Un grave sujet qui devrait permettre de mieux comprendre cette forme apparue et débattue au sein de la poésie moderniste brésilienne, le dit « poème-blague », et de revisiter la joyeuse période de compagnonnage et de collaboration entre Cendrars et Oswald, en 1924-1925, qui produisit chez l’un la série des Feuilles de route (abordée par Lydie Cavelier dans la même partie du programme), chez l’autre un recueil emblématique du modernisme brésilien, Pau Brasil (cf. Bois Brésil, poésie et manifeste, trad. A. C., Éditions de la Différence, 2010).

Sans rire, prenez des notes.

13 mai 2023

Alcântara Machado à l’université

« Les chemins du livre dans l’Atlantique : entre médiation, traduction et réception » : c’est l’intitulé d’une Journée d’étude internationale qui se tiendra pas plus tard que ce mardi 16 mai à la Cité internationale universitaire (Paris 14e) — et en ligne via Zoom —, sous l’égide de Sorbonne Université et de l’Universidade Federal de Minas Gerais.

De bon matin ou presque, dans une table ronde sur « Les chemins de l’édition », le traducteur en chef de L’oncle d’Amérique n’évitera pas une petite bafouille dont voici le titre : « Import-export : le cas d’António de Alcântara Machado », et le résumé officiel :

« La récente traduction de Brás, Bexiga et Barra Funda (1927), fameux volume de nouvelles d’António de Alcântara Machado (1901-1935), a pu venir combler une lacune objective dans notre réception des lettres brésiliennes. En donnant à lire si tardivement un classique du modernisme, il s’agissait également de produire une édition critique susceptible de faire référence, synthèse mais aussi révision et reprise des recherches sur le texte et son auteur. De là, en retour, l’opportunité d’une publication au Brésil même, propre à favoriser de nouvelles lectures d’une œuvre un peu malmenée dans ses dernières rééditions en date, et à remettre en évidence un grand oublié dans les commémorations du centenaire du modernisme. Antoine Chareyre, responsable de l’édition française comme de la nouvelle édition brésilienne en préparation, témoignera des conditions concrètes et des enjeux nullement divergents de cette double démarche. »

Au programme [ci-contre], on ne manquera pas entre autres l’évocation des cas de Machado de Assis, de Murilo Rubião — dont Dominique Nédellec proposait récemment une première traduction d’ensemble (L’ex-magicien de la taverne du Minho, éd. L’arbre vengeur, 2021) —, et les réflexions du traducteur Mathieu Dosse.

Qu’on se le dise.
*
Présentation officielle :




28 décembre 2022

Encore un communiqué de L’oncle d’Amérique

Figurez-vous que le prochain rendez-vous du très couru Club de lecture de l’Ambassade du Brésil sera consacré à
Brás, Bexiga et Barra Funda, de notre cher António de Alcântara Machado.

Notez que cette rencontre au sommet se tiendra le samedi 14 janvier à 10h30, à la BnF, et sera modestement animée par le traducteur en chef de L’oncle d’Amérique, Antoine Chareyre, avec Maud Lageiste, chargée de collections en langue et littératures d’expression portugaise à la BnF.

N’oubliez pas qu’on s’inscrit fissa en écrivant à rsvpcultural.paris@itamaraty.gov.br (en précisant dans l’objet « Club de lecture #9 »).

Et ne soyez pas sans savoir que les 12 premiers inscrits pourront se porter acquéreurs du livre susmentionné avec un rabais de 50% à la Librairie Portugaise & Brésilienne (21 rue des Fossés Saint-Jacques, Paris 5e).

« Le dit public lecteur est celui qu’on sait », déclarait Alcântara Machado en 1927, en pleine promo de son petit livre.
C’est ce qu’on verra.

20 avril 2022

Encore un communiqué de L’oncle d’Amérique

L’oncle d’Amérique
présentera son (début de) catalogue à L’Autre salon du livre (Palais de la Femme, 94 rue de Charonne, Paris 11e), les vendredi 22 (de 14h à 20h), samedi 23 (11h-20h) et dimanche 24 avril (11h-19h), sur le stand de Van Dieren éditeur, dont on peut saluer l’hospitalité au sein de ce fameux événement de l’édition indépendante.

Bienvenue à tous les curieux, lecteurs et professionnels du livre, qui pourront donc feuilleter notre belle (mais rare) édition pseudo-fac-similé de Brás, Bexiga et Barra Funda, ces savoureuses nouvelles du Brésilien António de Alcântara Machado, et pourquoi pas discuter un brin avec le traducteur-éditeur en personne !

25 janvier 2022

Alcântara Machado en Sorbonne

Dans le cadre des « Actualités des études lusophones » et à l’invitation de Michel Riaudel, du Centre de recherches interdisciplinaires sur les mondes ibériques (CRIMIC, Sorbonne Université), l’historien Étienne Sauthier évoquera son récent Proust sous les tropiques (Presses universitaires du Septentrion, 2021) et le traducteur Antoine Chareyre, l’édition de Brás, Bexiga et Barra Funda, nouvelles du moderniste António de Alcântara Machado (L’oncle d’Amérique, 2021).

Une rencontre au sommet qui se tiendra ce mercredi 26 janvier 2022, 18h-19h30, à l’Institut d’Études hispaniques (31 rue Gay-Lussac, Paris 5e, salle 12) et en ligne (via zoom : https://bit.ly/3IJ3KzV).

3 décembre 2021

Alcântara Machado en vitrine

À la librairie L’Archa des Carmes (23 rue des Carmes, Arles), on a eu le bon goût de lire notre édition de Brás, Bexiga et Barra Funda d’Alcântara Machado, et le chic d’en rendre compte dans une note de lecture qui vaut bien mille « petits mots de libraire » :

(* Voir aussi la belle note de lecture sur l’autobiographie de Patrícia Galvão (Pagu), Matérialisme & zones érogènes, du même traducteur : par ici.)

(On peut retrouver la plupart des notes de lecture de L’Archa des Carmes sur le site de la librairie, les consulter sur sa page Facebook, ou même les recevoir sous forme de newsletter, en s’abonnant.)

2 décembre 2021

Encore un communiqué de L’oncle d’Amérique

Manifestation annuelle organisée par les éditions L’Œil dor, les Éternels FMR représentent plus de «70 éditeurs indépendants, alternatifs, furieux, décalés, irrévérencieux, poétiques», et près de «800 références allant de la littérature aux sciences humaines, de la photographie aux arts plastiques, de la botanique à l’astrophysique, de la bande dessinée aux carnets de voyage, interrogeant le monde, la politique, le genre, l’identité et l’histoire…»
Les amateurs sauront donc y trouver sur un coin de table, pour la première fois, notre belle (mais rare) édition pseudo-fac-similé de Brás, Bexiga et Barra Funda, ces savoureuses nouvelles du Brésilien António de Alcântara Machado. Avec un peu de chance, ils pourront même y croiser le traducteur-éditeur en personne...

* Ouverture du lundi au vendredi de 11h à 18h, le samedi de 11h à 19h, le dimanche de 12h à 18h.
Fermeture à 16h les 24 et 31 décembre.
Fermé les 25 déc. et 1er janvier.

19 novembre 2021

Un communiqué de L’oncle d’Amérique

L’oncle d’Amérique présentera son (début de) catalogue au Salon de l’Autre Livre (Halle des Blancs Manteaux, 48 rue Vieille du Temple, Paris 4e) les vendredi 26 (14h-20h), samedi 27 (11h-20h) & dimanche 28 novembre (11h-19h), sur le stand de Van Dieren éditeur (D01) dont on peut saluer l’hospitalité au sein de ce fameux événement de l’édition indépendante.
Bienvenue à tous les curieux, lecteurs et professionnels du livre, qui pourront donc feuilleter notre belle (mais rare) édition pseudo-fac-similé de Brás, Bexiga et Barra Funda, ces délicieuses nouvelles du Brésilien António de Alcântara Machado, et pourquoi pas discuter un brin avec le traducteur-éditeur en personne !

4 novembre 2021

Pagu affole la bibliographie

Du Brésil en voulez-vous en voilà dans le dernier numéro des Cahiers Benjamin Péret (n°10, septembre 2021).
Manon Julian signe un bel article qui, sous le titre « Pagu, une femme de fer avec des zones érogènes et un appareil digestif », est aussi une tentative de saisie des suggestifs parallélismes et entrecroisements biographiques entre Patrícia Galvão (Pagu) et Péret — et la continuation d’un compte rendu attentif, signé par Manon Julian dans la même revue (n°9, sept. 2020), de l’autobiographie de notre si chère Pagu, Matérialisme & zones érogènes (éd. Le Temps des Cerises, 2019), un petit livre qui ne cesse de se trouver par ici quelques lecteurs fascinés.
Puis dans le dossier « Traductions et traducteurs de Benjamin Péret », Leonor Lourenço de Abreu propose un panorama intitulé « Voyages en lusophonie : l’œuvre de Benjamin Péret au Brésil et au Portugal ».
Qu’on se le dise, & qu’on lise.

15 octobre 2021

Alcântara Machado dans le Lorgnon mélancolique

Sur le blog Le Lorgnon mélancolique, ce 15 octobre 2021, Patrick Corneau examine de long en large notre édition de Brás, Bexiga et Barra Funda, nouvelles du Brésilien António de Alcântara Machado, et il est enthousiasmé.

Ça se passe par ici.

14 octobre 2021

“L’ex-magicien” de Murilo Rubião, par Carlos Drummond de Andrade

Rio de Janeiro, 9 novembre 1947


L’ex-magicien est un délice. Il nous transporte au-delà de nos limites, sans jamais perdre pied, toutefois, dans le réel et le quotidien. Son univers est pareil au nôtre et, en même temps, c’est un univers libéré des lois de la circulation humaine et de la logique formelle. Et aussi absurdes que soient les nouvelles relations établies par toi entre les choses et l’homme, la vérité est qu’elles ne sont pas plus absurdes que les conditions de la vie normale, contrôlée par la raison : voilà la leçon amère que l’on tire de ta satire, si poétique et si riche en invention. Mon accolade pour ce beau livre, et pourvu qu’il soit compris dans toutes ses perspectives et plans superposés. Avec l’affectueuse admiration de ton
Carlos Drummond
*
N. B.
 : Cette missive du grand Carlos Drummond de Andrade (1902-1987) saluait la publication du premier des sept recueils de nouvelles de Murilo Rubião (1916-1991), dont le premier volume en français, anthologique, vient de paraître :


Nous y reviendrons.

“L’ex-magicien” de Murilo Rubião, par Sérgio Milliet

Le livre inégal de Murilo Rubião (O ex-mágico — Editora Universal — Rio, 1947), hésitant dans sa réalisation technique et artistique, et qui rappelle par trop les expériences de 1922, contient, toutefois, quelques nouvelles intéressantes dont l’une, au moins, est délicieuse : celle qui donne son titre au volume. Délicieuse et profonde. Voilà un magicien qui en a assez de faire des tours de magie. Il devient fonctionnaire public et quand, pour justifier d’une stabilité qui n’est pas la sienne, il décide de faire le grand tour de magie, lequel lui permettra de tirer de sa poche un titre de nomination de plus de dix ans, il n’arrive à rien. Il a perdu le don de la magie, écrasé par la bureaucratie et par l’amour malheureux qui l’a maintenu si longtemps attaché à son emploi. Ce n’est qu’alors que le magicien comprend ce qu’il aurait pu réaliser grâce à ses talents de sorcier : « arracher de son corps des mouchoirs rouges, bleus, blancs, noirs ; remplir la nuit de feux d’artifice ; dresser son visage vers le ciel et laisser sortir d’entre ses lèvres le plus grand arc-en-ciel jamais vu. Un arc-en-ciel qui irait d’un bout à l’autre du monde et recouvrirait tous les hommes », réaliser la poésie, en somme, une poésie pour les vieux et les enfants, ceux que les autres séductions du monde n’attirent plus et ceux dont les sens sont encore vierges.
Tout le passé du magicien avait été une manifestation de pouvoir, mais de sa force créatrice il n’avait tiré que le minimum concret, lapins, pigeons, crayons, bonbons. Et avoir à portée de mains ces choses vulgaires l’avait ennuyé jusqu’au désir du suicide. Il n’avait pas vu que c’est dans la création de la beauté désintéressée que se trouvait le salut.
La nouvelle de M. Murilo Rubião n’a peut-être pas des intentions philosophiques aussi transcendantes. Peu importe. Comme toute œuvre d’art véritable, elle permet à qui cherche à entrer dans son intimité, une grande latitude d’interprétation. Mais ses nouvelles ne sont pas toujours aussi accessibles. D’autres, comme « La maison du tournesol rouge », se déroulent dans une atmosphère de surréalisme presque impénétrable. Alors c’est la richesse d’imagination de l’auteur qui nous émeut, c’est le caractère gratuit de sa littérature qui nous enchante. Ce sont parfois des petits poèmes en prose, des rêveries sans lien apparent, des images détachées dont le flux est rompu de temps à autre par de violentes absurdités qui sont comme les avertissements d’une pudeur rétive au sentimentalisme menaçant. Cette peur de la banalité mièvre, de la confession personnelle, est une des caractéristiques de la poséie des nouvelles générations, que les poètes écrivent en prose ou en vers. Mais l’attitude de contrôle permanent et de défiance ne peut être toujours maintenue. Alors s’élève lentement une vague d’angoisse, une marée montante qui submerge tout et qui provoque les accents d’un désespoir d’autant plus dense que réfréné, d’autant plus intense que dépourvu des valvules d’échappement pour les explosions lyriques.
La nouvelle intitulée « Marina, l’intouchable » commence sur cette image convaincante : « Avant que j’aie le temps d’ouvrir la fenêtre et de crier au secours, le silence m’enveloppa complètement. » Poursuivre sur ce ton-là eût été s’abandonner, se rendre peut-être ridicule en ces temps de dérision et de démoralisation. Que la blague intervienne, donc, le paradoxe, que la confusion règne à la surface des eaux, éloignant les intelligences malicieuses, capables de décrire dans tous leurs détails les plus complexes processus psychologiques et sociaux, car mieux vaut passer pour un fou, enfermé dans son hermétisme, que pour un idiot… Les irrépressibles sollicitations de l’angoisse, de l’ennui, de la mélancolie, de l’amour insatisfait, de l’insolubilité dans le monde faux, apparaîtront sous la forme agressive de la suggestion vague, de l’allusion ésotérique, et alors les rôles seront inversés, c’est le bourgeois qui aura peur du mystère, et qui se manifestera « dans les journaux » pour dénoncer « l’œil de Moscou ».
J’aimerais que M. Murilo Rubião ait donné à son livre de nouvelles un titre un tout petit peu différent. Non pas L’ex-magicien, mais Le magicien, car sa prose est bien celle d’un de ces types qui broient la montre du spectateur dans un verre et, quand on découvre le récipient, il en sort un pigeon-voyageur avec une lettre de la bien-aimée dans le bec. Il arrive que le spectateur ne sache que faire de cette lettre, il ne comprend pas et demande, prosaïquement, qu’on lui rende sa montre…

Trad. A. C.

Source : O Estado de S. Paulo, 3 décembre 1947, p. 6.

*
N. B.
 : Cet article de notre cher Sérgio Milliet (1898-1966), poète, écrivain et critique issu de la génération moderniste de 1922, accompagnait la publication du premier des sept recueils de nouvelles de Murilo Rubião (1916-1991), dont le premier volume en français, anthologique, vient de paraître :


Nous y reviendrons.

2 août 2021

Alcântara Machado sur America Nostra / Nos Amériques

Dans les « Chroniques » du blog America Nostra / Nos Amériques, ce 2 août, Christian Roinat évoque notre cher António de Alcântara Machado et les nouvelles de Brás, Bexiga et Barra Funda, en mettant en avant « deux façons de lire cet ouvrage »

Ça se passe par ici.



25 juillet 2021

L’Alamblog devise sur Alcântara Machado

Non content d’avoir semé l’inquiétude dans le petit monde du livre, au printemps dernier, en alertant tout un chacun de l’apparition alors imminente de L’oncle d’Amérique (lire l’épatant billet du 20 avril), Éric Dussert alias le Préfet maritime a eu le bon goût de lire Brás, Bexiga etc. d’Alcântara Machado, et le chic d’en rendre compte derechef sur L’Alamblog, dans la catégorie « Les vrais coupe-faim », ce 24 juillet.

Cet intelligent billet tout plein de rapprochements inspirants se lit par ici, et la conclusion est sans appel : « Les nouvelles du volume, annotées avec gourmandise par le traducteur-éditeur, démontrent qu’on avait tort d’ignorer ce Brás, Bexiga et Barra Funda, informations de São Paulo, une pièce remarquable de la littérature du siècle dernier. »

20 juillet 2021

En vogue

Vous voulez du roman prolétarien ? dans une veine féministe ? et du monde entier ?
En voici :


(De gauche à droite et par ordre de première publication en langue française :)


(N. B. : Ces trois livres, en dépit de ressemblances parfois frappantes, n’ont pas reçu le même accueil lors de leur parution en français. Rien n’est perdu pour qui sait tirer les bons fils. Des fois qu’un(e) libraire inspiré(e) voudrait faire une table thématique...)

À propos de Tarsila

À lire sur Diacritik depuis le 19 juillet, 5e volet de la série « Peintresses en France » : « Tarsila do Amaral : star de l’art brésilien », une évocation par Carine Chichereau de la vie et l'œuvre de notre chère Tarsila, figure majeure du mouvement moderniste, auteure par exemple de la mythique couverture et des illustrations de Bois Brésil, le recueil de poèmes de son époux Oswald de Andrade dont nous donnions en 2010 une édition française — laquelle apparaît pour illustrer cet article en ligne, sans autre référence, et dont une nouvelle version revue et corrigée est en préparation.

14 juillet 2021

Le Matricule zoome sur Alcântara Machado

Dans Le Matricule des anges (n°225, juillet-août 2021), l’attentif Guillaume Contré propose en page 13 un beau « Zoom » sur Brás, Bexiga et Barra Funda d’António de Alcântara Machado, premier volume paru chez L’oncle d’Amérique.

Et fichtre, « on attend déjà la suite » !



11 juillet 2021

Pagu affole (encore) les libraires

« Pagu pourrait être l’une des narratrices des récits de Clarice Lispector. »
C’est ainsi qu’à la librairie Archa des Carmes (23 rue des Carmes, Arles), on définit notre si chère Patrícia Galvão (Pagu), entre autres belles réflexions à propos de son autobiographie Matérialisme & zones érogènes (éd. Le Temps des Cerises, 2019), publiée pour faire suite au roman Parc industriel (idem, 2015).
L’article, diffusé en mai dernier dans une newsletter de la librairie, peut se lire sur la page Facebook de l’Archa des Carmes (par ici).
Les vrais bons livres ne sont jamais des « nouveautés » en librairie, ce sont toujours déjà des ouvrages de fonds. Ils espèrent leurs lecteurs, et les trouvent. La preuve.

27 mai 2021

Un écho

Il y en a qui suivent, et qui savent enfoncer le clou. C’est ainsi qu’Éric Dussert, avant tout le monde, alertait de belle manière sur l’imminente apparition de L’oncle d’Amérique traducteur-éditeur, notant par exemple qu’« il n’y aura pas lieu d’occulter ou de faire mine de ne pas voir paraître le premier volume de [la] maison », lequel se trouve en librairie depuis le 11 mai 2021.
L’intégralité de cet épatant billet, en date du 20 avril, se lit ici.
Bravo à l’Alamblog, toujours sur la brèche !

24 mai 2021

Vient de paraître

António de Alcântara Machado
Brás, Bexiga et Barra Funda
(Informations de São Paulo)

édition critique & pseudo-fac-similé

traduction du portugais (Brésil),
notes, suppléments, bibliographie & postface
par Antoine Chareyre

L’oncle d’Amérique traducteur-éditeur
ISBN : 978-2-9574976-0-7
14×19 cm – 252 p. – 21 €
– paru le 11 mai –


« Brás, Bexiga et Barra Funda est l’organe des Italo-Brésiliens de São Paulo. (…) Brás, Bexiga et Barra Funda, en tant que membre de la presse libre, tente de fixer tout au plus quelques aspects de la vie laborieuse, intime et quotidienne de ces nouveaux métis nationaux et nationalistes. C’est un journal. Rien de plus. De l’information. C’est tout. Il n’a ni parti ni idéal. Il ne commente pas. Il ne discute pas. Il n’approfondit pas. (…) Dans ses colonnes, on ne trouve pas une seule ligne de doctrine. Ce ne sont que faits divers. Événements de la chronique urbaine. Épisodes de la rue. (…) Brás, Bexiga et Barra Funda n’est pas un livre. »
(La rédaction.)

« Une affaire sérieuse. »
« En fin de compte, ce que voulait vraiment Alcântara Machado c’était tuer la littérature. Il l’a tuée. Brás, Bexiga et Barra Funda est le meilleur journal jamais apparu au Brésil. Il ne contient pas une goutte de littérature. »
(Carlos Drummond de Andrade)

Le Brésilien António de Alcântara Machado (1901-1935) se forme dans le journalisme au début des années vingt et, repéré par Oswald de Andrade, rejoint bientôt l’avant-garde de São Paulo dont il se fait un enthousiaste agitateur, assumant la direction de la revue Terra roxa e outras terras (1926) et de la fameuse Revista de Antropofagia (1928-1929). Après la parution remarquée du reportage Pathé-Baby (1926), il s’impose avec les nouvelles de Brás, Bexiga et Barra Funda (1927) et de Laranja da China (1928) comme un prosateur essentiel de sa génération, en styliste hors pair et génie de la forme ultra-courte. Disparu précocement, il laisse quelques nouvelles éparses, un roman inédit, des travaux érudits du côté de l’historiographie brésilienne et une œuvre copieuse de journaliste, critique et chroniqueur. À l’égal de ses amis Oswald de Andrade et Mário de Andrade, il demeure aujourd’hui un classique du modernisme brésilien.

« Ses livres sont tous des sortes de chef-d’œuvre parce qu’il réalise toujours intégralement ce qu’il a entrepris. »
« Un exemple typique de l’affaire pliée. »
(Mário de Andrade)

« Je le baptiserais volontiers António de Alcântara Machado de Assis. »
(Oswald de Andrade)

*
Sur le site de l’éditeur :

Feuilleter les premières pages du livre
Consulter l’avis de parution/argumentaire et la revue de presse
Découvrir l’espace documentaire « Autour de Brás, etc. d’Alcântara Machado » (archives critiques, images, vidéos, musiques…)
Commander le livre sur la boutique en ligne

4 février 2021

Un communiqué de L’oncle d’Amérique


Où en sommes-nous ? (nous demandez-vous)
Eh bien, nous travaillons, avec un sens des priorités assez relatif voilà tout.
Par exemple en inaugurant, sur notre site, la page « Autour de Brás, etc. d’Alcântara Machado », qui devrait compter une cinquantaine d’items d’ici le lancement du livre.
Comprenez que L’oncle d’Amérique a mobilisé tout son département des archives et son équipe de graphistes au grand complet pour monter et éditer ce petit dossier fait d’archives critiques sur l’édition originale, de témoignages sur l’auteur, d’images et illustrations retrouvées, de vidéos, de vieilles musiques... Documents rares, trouvailles, anecdotes, pour les plus curieux d’entre les curieux.
Une affaire à suivre, amis lecteurs.

10 octobre 2020

La presse se déchaîne pour Pagu

Ce qui est bien avec les ouvrages de fonds, c’est qu’ils peuvent susciter des commentaires longtemps, très longtemps après leur sortie en librairie.
Ainsi de Matérialisme & zones érogènes, l’édition française de l’autobiographie de Pagu, publiée en mars 2019, remarquée ici ou là (En attendant Nadeau, Sitaudis, Les Lettres françaises…), et qui fait encore l’objet d’une belle note de lecture dans le dernier numéro des Cahiers Benjamin Péret (n°9 daté de septembre 2020). Vifs remerciements à Manon Julian pour sa curiosité et sa lecture attentive.

6 octobre 2020

Petite chronique du mouvement international des livres & des idées : Pagu, par pertes et profits

Au Brésil, les éditions Companhia das Letras viennent de lancer, en ce mois d’octobre, une nouvelle édition de l’autobiographie de Patrícia Galvão (Pagu), un texte posthume publié pour la première fois en 2005 chez Agir editora, sous le titre Paixão Pagu (A autobiografia precoce de Patrícia Galvão), et indisponible depuis quelques années. Une bonne nouvelle ? Un progrès ?


Entretemps, faut-il préciser, une traduction intitulée
Matérialisme & zones érogènes (Autobiographie précoce) (Le Temps des Cerises, 2019), faisant suite à celle du roman Parc industriel (Le Temps des Cerises, 2015), aura mis ce témoignage historique, intime, politique et féministe, à la disposition des lecteurs français. Mais cette traduction aura, non moins, assez considérablement fait avancer l’intelligibilité du texte et la connaissance d’ensemble du parcours de l’auteure, une figure tellement galvaudée, tellement sujette aux approximations et au ressassement des mêmes superficiels clichés, au gré d’un généreux glossaire des noms propres (25 p.) et d’une chronologie précise et fouillée (26 p.) contenant, l’un comme l’autre, des éclaircissements indispensables et bien des données tout à fait inédites, aussi bien du côté biographique que du côté de l’histoire culturelle, sociale et politique.
Une édition savante, comme on dit, qui n’est pas du luxe pour un texte de cette nature, rédigé en 1940 hors intention de publication, à l’attention d’un intime, et de ce fait plein d’imprécisions, d’allusions, de non-dits, de lacunes, un témoignage à la fois précieux et fragile sur une conjoncture (celle de la fin des années 1920 et surtout des années 1930) qui réclame aujourd’hui une approche prudente et informée, un récit nommant au passage de multiples figures, notoires ou moins notoires, du monde intellectuel et artistique, de la vie politique d’alors, pour le moins complexe et changeante, du mouvement ouvrier et syndical et du communisme brésilien et international, plongées dans une semi-clandestinité propre à déconcerter les plus avertis… Une édition, par conséquent, dont on peut déplorer que le lecteur brésilien ne puisse jouir — cette réédition chez Companhia das Letras n’ayant pour toute nouveauté que son design de couverture (le marketing, c’est bien), et la modification, qui s’imposait assurément, du titre principal, remplacé par le sous-titre.
L’éditeur brésilien, pour présenter ce qui serait l’« unique texte autobiographique laissé par Patrícia Galvão » (faux : Verdade e liberdade, édité en 1950, constitue aussi un témoignage capital, et un complément plus qu’utile au texte de 1940 qui suspend le récit des faits en 1934…), l’éditeur brésilien, donc, écrit notamment : « Patrícia Galvão a presque toujours été vue à travers l’optique masculine, que ce soit pour ses relations ou pour la manière dont son art pouvait être comparé à celui des hommes de son époque. Dans Autobiographie précoce, pas d’intermédiaires : nous avons accès à une Pagu qui écrit sur elle-même. Un livre essentiel pour comprendre l’un des personnages les plus intrigants de l’histoire brésilienne. »
Fort bien. Quitte à supprimer tout intermédiaire masculin, il fallait aussi s’en tenir à l’état civil et abandonner carrément le nom « Pagu » (qui trône seul en première de couverture), parce qu’après en avoir fait son pseudonyme l’intéressée aura fini par le récuser, et qu’il rappelle on ne peut mieux comment elle fut d’abord l’invention des hommes, en l’occurrence du poète Raul Bopp, qui la courtisait et la baptisa ainsi dans le poème « Coco de Pagu », peu de temps avant qu’elle ne se transforme en une égérie (à côté de Tarsila) du groupe de la Revista de Antropofagia, et à une époque où elle donnait belle matière aux pages illustrées des magazines de variétés, mondanités et concours de beauté aidant.
Quant à comprendre, comprenne qui peut, en réalité. Car est-ce aussi pour désaffubler Pagu du regard masculin que l’on est allé jusqu’à supprimer les textes introductifs de l’édition de 2005, signés par ses deux fils, Geraldo Galvão Ferraz et Rudá de Andrade, tout de même concernés, et contextualisant utilement un texte venu tardivement à la publication, et par l’universitaire nord-américain Kenneth David Jackson, qui reste aujourd’hui l’un des premiers spécialistes de la vie et de l’œuvre de Pagu ? L’édition de 2005 s’achevait aussi sur une chronologie plus que sommaire, par trop générale et assez peu adaptée au contenu de l’autobiographie, et sur quelques notes de vocabulaire, assez indigentes. N’était-ce pas alors l’occasion de reprendre le travail d’édition à nouveaux frais, et de donner à ce texte toute la portée et la profondeur qu’il peut avoir, en l’accompagnant d’une information solide et actualisée ? Fût-ce en allant voir du côté de l’édition française ? fût-ce en allant consulter les quelques chercheurs qui se donnent la peine, aujourd’hui, de faire avancer le « dossier Pagu » ?
Au lieu de cela, cette nouvelle édition s’en tient à une brève et générale « Note sur l’auteure » en fin de volume (autant dire rien qui vaille), et au principe du cahier photos de l’édition de 2005, un dossier iconographique peut-être bienvenu pour illustrer le propos intime de l’auteure, mais qui n’est pas sans perpétuer cette image glamour de Pagu, pour ne pas dire people et un peu voyeuriste, celle-là même qu’il s’agirait de mettre à distance, certes pas de censurer ou d’oblitérer (comment comprendre, dès lors, ce que put représenter cette Pagu-là dans la société brésilienne d’alors ?), mais d’enchâsser, d’intégrer de manière critique dans une vision beaucoup plus vaste et, notamment, plus politique.
Enfin, voilà encore une preuve, s’il en fallait, que l’erratique bibliographie brésilienne, qui fait souvent errer le lecteur d’une édition épuisée à l’autre, et les divers mouvements de prédation dans l’industrie éditoriale, à la recherche de quelques parts de marché, ajoutés aux petites affaires des uns et des autres, ne sont au service ni des œuvres, ni vraiment de la postérité des auteurs, ni même des lecteurs, en droit de réclamer si tant est qu’ils puissent se douter de ce dont on les prive.
C’est dire avec quelle impatience on attend, au même catalogue, la reprise du roman Parque industrial qui viendra remplacer, pour le meilleur et pour le pire, la belle réédition produite en 2018 par Linha a Linha, qui représentait, excusons-la, la première édition critique brésilienne de ce roman désormais mythique, et qui a déjà été rendue indisponible (on s’assure ainsi le moment venu, vous comprenez, une petite base de lecteurs frustrés).
Voyez comme on régresse. Mais comme on est quand même content de voir Pagu reparaître au Brésil, on peut applaudir les éditions Companhia das Letras, qui auront fait le service minimum.