4 novembre 2011

Dans la presse française 7 et 8

Recensions des volumes Bois Brésil (Poésie et Manifeste) d’Oswald de Andrade, par Jean-Pascal Dubost (qui avait déjà rendu compte sur Poezibao, avec la même conviction, de l’essai de Haroldo de Campos), et Poèmes modernistes et autres écrits de Sérgio Milliet, par François Collet, dans le n°22 de la revue CCP (Cahier critique de poésie, le semestriel essentiel du cipM, Centre international de poésie de Marseille) ; ça se passe p.197 et 198.

31 octobre 2011

Mondanités

Présentation de l’ouvrage
Le Futurisme et les Avant-gardes au Portugal et au Brésil

Jeudi 17 novembre à 19h
Maison du Portugal (Cité Universitaire, 7 bd Jordan, 14e)

À l’invitation des Éditions Convivium Lusophone et en présence des organisateurs du volume.
Lectures de poèmes et autres textes, interprétations musicales.

Source :

Autour du Futurisme lusophone

Avis de parution

Maria Graciete Besse (org.)
(avec José Manuel Esteves, Adelaide Cristóvão et José Salgado)
Le Futurisme et les Avant-gardes
au Portugal et au Brésil

Éditions Convivium Lusophone (Argenteuil)
avec le soutien de l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV)
23€
– paru en octobre 2011 –

À titre d’information, nous donnons ci-après le texte de présentation du colloque à l’origine de ce volume :
« La publication du Manifeste Futuriste de Marinetti, en février 1909, dans les pages du Figaro, marque la naissance d’une esthétique qui investira aussi bien les processus artistiques que la figure sociale de l’artiste. Véritable acte fondateur du premier mouvement d’avant-garde du XXe siècle, ce manifeste a connu des répercussions importantes dans les pays de langue portugaise. Traduit dès 1910 à Bahia et au Portugal (Diário dos Açores), il faudra attendre quelques années pour que le message de Marinetti touche véritablement les intellectuels portugais et brésiliens. La première impulsion moderniste est donnée en 1915 par la parution à Lisbonne de la revue Orpheu, grâce à Fernando Pessoa et Mário de Sá-Carneiro, tandis qu’au Brésil, c’est la Semaine d’Art Moderne, organisée en 1922 par Graça Aranha, qui, dans un contexte hostile à Marinetti, lance une réflexion intense sur une littérature nationale.
« Dans le cadre des commémorations du centenaire de la publication du Manifeste Futuriste par Marinetti, ce colloque international prétend contribuer à la recherche sur les manifestations littéraires, artistiques et intellectuelles que le courant futuriste et ses prolongements avant-gardistes ont produit au Portugal et au Brésil. Seront prises en compte les différentes manifestations esthétiques et intellectuelles, notamment dans le domaine de la littérature et des arts plastiques ; la relation avec les productions brésiliennes identiques ; la contextualisation des productions nationales dans le cadre des courants esthétiques avant-gardistes européens des premières décennies du XXe siècle.
« Ce colloque vise ainsi contribuer au développement de la recherche lusophone en France, tout en créant une dynamique de divulgation de la culture, de la littérature et des arts en langue portugaise. »
[colloque organisé en octobre 2009 par le CRIMIC de l’Université Paris-Sorbonne, en collaboration avec le CRILUS (Nanterre), la Chaire Lindley Cintra et les lecteurs de portugais à Paris (Institut Camões)]

Le volume reprend la plupart des communications de ce colloque, où fut majoritairement traité, de fait, le cas du Portugal.
On y lira néanmoins avec grande attention la partie « Trajectoires avant-gardistes au Brésil » (p.155-240), avec les études suivantes :
- Silvia Contarini, « "Contra os cabelos curtos" : le retour à l’ordre marinettien » ;
- Eliane Moraes « Entre la machine et la paresse : le paradoxe de Macunaïma » [de Mário de Andrade] ;
- Alberto da Silva, « Le film Macunaïma : l’'avant-garde des rapport de genre ? » ;
- Fernando Paixão, « Un flirt d’Oswald de Andrade avec le futurisme : la joyeuse destruction de João Miramar » ;
- José leonardo Tonus, « Le Modernisme brésilien et le fantasme futuriste : le cas Plinio Salgado » ;
- Adriana Florent, « "C’est du futurisme ma chère !" : l’impact du Modernisme sur la société brésilienne du début du XXe siècle ».

La faiblesse (relative) de ce genre de travaux de spécialistes tenant généralement au fait que l’on y traite d’auteurs et d’oeuvres inaccessibles en français, rappelons les belles traductions de feu Jacques Thiériot : les Mémoires sentimentaux de Janot Miramar d’Oswald de Andrade, dans le volume Anthropophagies (Flammarion, 1982 ; épuisé !), et le Macounaïma de Mário de Andrade (Flammarion, 1979 ; rééd. Stock/Unesco/CNRS/Allca XX, 1996).
Quant au film de Joaquim Pedro de Andrade tiré du roman de M. de Andrade, on le trouve facilement en DVD.

Sources :

21 octobre 2011

Conférences !

« Interprétations littéraires
du Brésil moderne et contemporain »

3 et 4 novembre 2011
Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Colloque organisé par le Centre de recherches sur les pays lusophones (CREPAL) de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, dans le cadre d’europalia.brasil, édition 2011 d’Europalia – International arts festival.
Noter dans la Séance 6, « La poésie brésilienne : du moderne au contemporain » (présidée par Jacqueline Penjon, du CREPAL), les communications :

« Oswald de Andrade »
par Ítalo Moriconi
(de l’Université de l’État de Rio de Janeiro – UERJ)

et
« Haroldo de Campos : de l’anthropophagie à la translucifération »
par Inês Oseki Depré
(de l’Université de Provence)

Vendredi 4, 16h et 16h30
Maison de la recherche de la Sorbonne Nouvelle (4 rue des Irlandais, 5è)
Salle Claude Simon

Renseignements :

17 octobre 2011

Modernisme brésilien et postérité whitmanienne

À lire, dans le dossier « Walt Whitman » d’Europe, n°990, octobre 2011, le panorama de Michel Riaudel sur « Walt Whitman et le Brésil » (p.104-111), une petite histoire qui commence naturellement avec les poètes modernistes de la génération de 1922 — en particulier : Mário de Andrade et Ronald de Carvalho, dont les œuvres poétiques et critiques (et les textes où Whitman se trouve évoqué ou revisité) sont à paraître en traduction française, à court ou moyen terme.

8 octobre 2011

L'Anthropophagie, encore...

Petit historique
des
traductions françaises
du
Manifesto antropófago
d’Oswald de Andrade
pour servir
aux esprits compulsifs.

Établi en septembre 2011
et dorénavant mis à jour,
si nécessaire,
ici-même
et sans autre commentaire.

Revista de Antropofagia (SP), n°1, mai 1928.

1) par P. F. de Queiroz-Siqueira, dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse, n°6, juin 1972, « Destins du cannibalisme » ;

2) par Erdmute Wenzel White, dans E. W. White, Les années vingt au Brésil : le Modernisme et l’avant-garde internationale, Paris, Éditions hispaniques, « Thèses, mémoires et travaux », 1977 ;

3) par Béatrice de Chavagnac, dans B. de Chavagnac/ O. de Andrade,  Premier volume de la Grande Encyclopédie « Miam-Miam » qui traite, pour cette fois, du Cannibalisme, Paris, Le Couteau dans la Plaie, 1979 ;

4) par Jacques Thiériot, dans : a) Europe, n°599, mars 1979, « Le modernisme brésilien » (org. par Pierre Rivas) ; b) O. de Andrade, Anthropophagies, Paris, Flammarion, « Barroco », 1982 ; c) Modernidade : art brésilien du XXe siècle (catalogue d’exposition), Paris, Association française d'action artistique, 1987 ; d) Art dAmérique latine, 1911-1968, Paris, Centre Georges Pompidou, 1992 ; e) [en un large extrait qui vaut presque rééd.] Antje Kramer (éd.), Les grands manifestes de l’art des XIXe et XXe siècles, Beaux Arts éditions, 2011 ;

5) par Benedito Nunes, dans Luís de Moura Sobral (org.), Surréalisme périphérique, Université de Montréal, 1984 ;

6) par David Sanson et Danielle Schramm, dans Mouvement, n°36-37, sept.-déc. 2005, dossier « Brésil » ;

7) par [Cédric Vincent ?], dans O. de Andrade, Manifestes, présentation de Cédric Vincent, Bordeaux, Didier Lechenne / Galerie Cortex Athletico, « Tract, archives manifestes », 2006 [tract hors commerce ; voir www.lechenne.fr] ; 

8) par Michel Riaudel, dans Papiers (Revue du Collège international de philosophie), n°60, sept. 2008, « Brésil-Europe : repenser le mouvement anthropophagique » {parution en ligne exclusivement : http://www.ciph.org/fichiers_papiers/Papiers60.pdf} ;

9) par Silveane Lucia Silva, dans S. L. Silva, « L’anthropophagisme » dans l’identité culturelle brésilienne, L’Harmattan, « Pouvoirs comparés », 2009 ;

10) par Lorena Janeiro, dans O. de Andrade/ Suely Rolnik, Manifeste anthropophage/ Anthropophagie zombie, Montreuil-sous-Bois, Blackjack éditions, « Pile ou face », 2011.

25 septembre 2011

La pensée anthropophagique d'Oswald de Andrade, dans le texte

Avis de parution
    
Oswald de Andrade / Suely Rolnik
Manifeste anthropophage /
Anthropophagie zombie

Traductions du portugais par Lorena Janeiro / Renaud Barbaras
 
Blackjack éditions
coll. « Pile ou face »
14,5 x 21 cm, 25 et 61 p., 14€
 
- à paraître le 15 novembre 2011 -

...mais n’écrivait-on pas à quelque autre occasion, dans un message confidentiel du présent blog : « On pourra regretter qu’une fois de plus, pour l’attentive patience du public français, Oswald de Andrade ne soit évoqué qu’au titre de son activisme “anthropophage” et de son manifeste de 1928 — déjà traduit 8 fois en français ! —, au détriment si ce n’est à l’exclusion du reste de son œuvre… » ? — et au détriment, eût-on dû ajouter, d’une vision à la fois plus large et plus précise du mouvement moderniste brésilien, où le trop fameux Manifesto antropófago, recontextualisé, retrouverait son exact sens historique (non exclusif de lectures actualisantes, d’accord), comme l’une des dernières propositions, et certes la plus radicale, de la décennie 1920 brésilienne. (Sur les paradoxes de la réception française de l’œuvre d’Oswald de Andrade, et son insistante postérité anthropophage, voir cet historique-ci : http://www.boisbresilcie.com/2011/10/petit-historique-des-traductions.html, et ce message-là : http://www.boisbresilcie.com/2010/11/propagande-transatlantique-3-bilingue.html) (D’après nos meilleurs informateurs, un gros volume actuellement en préparation, De la Poésie Bois Brésil à l'Anthropophagie : archives critiques autour d’Oswald de Andrade, Brésil/ Portugal/ France, 1923-1929, devrait permettre à terme de combler cette lacune du côté de l’histoire littéraire et culturelle.)

Las, devant l’attentive patience du public français, donc, à ces 8 (ou 9...) traductions recensées, s’en ajoute désormais une autre.

On voudra bien considérer la chose avec une très bienveillante curiosité, néanmoins. D’abord parce qu’il est positivement exceptionnel qu’un auteur du Modernisme brésilien se voie ainsi consacrer deux ouvrages à un an d'intervalle. Ensuite parce que le manifeste acquiert, avec ce volume, une visibilité éditoriale que ne purent pas toujours lui offrir ses précédentes versions françaises (souvent en revue ou en appendice à des travaux universitaires, ou encore dans les dernières pages du volume Anthropophagies). Enfin, parce que le texte en question appelle par sa nature même, c’est entendu, des lectures croisées et renouvelées, ouvertes à toutes les approches disciplinaires (notamment entre le philosophique et le politique), engagées, créatives et prospectives.

À cet égard le volume annoncé joint, à la « nouvelle traduction » du Manifeste anthropophage, un essai de Suely Rolnik se proposant de réinvestir la notion d’anthropophagie dans un contexte contemporain mondialisé.

Si l’on note que Suely Rolnik, qui enseigne à l’Université de São Paulo, est philosophe, psychothérapeute et critique d’art, auteur par exemple de Micropolitiques, ouvrage cosigné avec Félix Guattari ; que Blackjack éditions souhaite ouvrir son catalogue, avec la nouvelle collection « Pile ou face », aux « champs les plus actuels des sciences humaines » ; enfin que la fondatrice de cette jeune maison, Léa Gauthier, fut rédactrice en chef de la revue Mouvement (où sont d’abord parus, précisément, en 2005, à la fois le texte de Rolnik et le manifeste d’Oswald, dans une autre trad.), cela situe les choses, et augure de la lecture à laquelle on nous convie.

Pour une présentation officielle de l’ouvrage, voir :
ou celui du diffuseur-distributeur : http://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=2246&menu=.

1 septembre 2011

Sur la pensée anthropophagique d'Oswald de Andrade

Avis de parution

Jorge Ruffinelli
et João Cezar de Castro Rocha (org.)
Antropofagia, hoje ?
Oswald de Andrade em cena

É Realizações (São Paulo)
21 x 21 cm, 688 p., R$ 99

– paru en juillet 2011 –

L’ouvrage Antropofagia, hoje ? est la version augmentée d’un volume paru en 2000 aux États-Unis. Il a été lancé officiellement en juillet dernier à l’occasion de la Flip 2011 consacrée à O. de Andrade et, contexte aidant, a reçu un large accueil de la presse brésilienne (voir le dossier de presse sur le site de l’éditeur : http://www.erealizacoes.com.br/clipping/clipping.asp — où l’on trouvera, dans les mêmes pages, d’autres articles consacrés à la commémoration flipesque d’Oswald).

L’un des deux organisateurs du volume, João Cezar de Castro Rocha, professeur de littérature comparée à l’Université d’État de Rio de Janeiro (Uerj), est par ailleurs intervenu, avec force énergie et engagement, dans une table ronde sur l’Anthropophagie oswaldienne, dans le cadre des programmations de la Flip (voir un extrait vidéo ici : http://www.youtube.com/user/flipfestaliteraria?gl=BR&hl=pt#p/c/CDA0205549335494/15/NxAGUFjbgdU).

À titre indicatif, nous donnons la traduction du texte de présentation de l’éditeur :

« Est-il encore possible de proposer une relecture de la théorie culturelle d’Oswald de Andrade ? Vaut-il la peine (encore une fois !) de réinterpréter l’Anthropophagie ? Est-il possible de la convertir en une forme critique de compréhension de la réalité contemporaine ? La tâche n’est pas facile, puisqu’il est arrivé avec l’Anthropophagie ce qui était inévitable : on a tellement parlé des manifestes oswaldiens que le sujet semble complètement épuisé.
Afin de répondre par l’affirmative, Antropofagia, hoje ? Oswald de Andrade em cena [« L’Anthropophagie, aujourd’hui ? O. de Andrade en scène »] réunit 44 essayistes et 13 écrivains avec le même objectif : explorer le potentiel analytique et philosophique de l’Anthropophagie oswaldienne. Il s’agit de mettre en avant la pertinence de sa proposition dans le monde actuel. Or, si le grand dilemme contemporain est d’inventer une imagination théorique capable de traiter le vertige de données reçues sans interruption, alors l’Anthropophagie oswaldienne peut devenir une solution pertinente pour la redéfinition de la culture contemporaine.
C’est pourquoi ce livre se propose de stimuler de nouvelles approches de l’œuvre d’Oswald de Andrade, en cherchant à comprendre l’Anthropophagie comme un exercice de pensée toujours plus nécessaire dans les conditions d’un monde globalisé, puisqu’elle permet que se développe un modèle théorique d’appropriation de l’altérité.
En dernière instance, telle est la signification la plus excitante de l’Anthropophagie, déjà entrevue de manière visionnaire par ce grand anthropophage qu’est Arthur Rimbaud : « Je est un autre ». Et ce n’est qu’à travers l’autre que nous pouvons connaître (un peu) de nous-mêmes.
Dans le monde actuel, caractérisé par un flux incessant d’information, allié à une pluralité vertigineuse de moyens de communication, peut-être n’y a-t-il pas de tâche plus importante que le développement d’une imagination théorique capable de traiter des données issues de circonstances et de contextes multiples. Dans ce livre, l’Anthropophagie oswaldienne est comprise comme la promesse d’une imagination théorique de l’altérité, à travers l’appropriation créative de la contribution de l’autre. »

28 août 2011

Sur un tableau de Tarsila conservé en Argentine

Le Brésil anthropophage, de Tarsila à Dilma...

Le sens d’un mouvement culturel n’est jamais fermé, et se poursuit dans la ou les réceptions qu’en font individus, groupes constitués ou instances officielles dans les générations suivantes. Ainsi est-il toujours intéressant, significatif ou problématique, d’observer de loin la postérité du Modernisme brésilien au Brésil même, au cours du siècle écoulé (voyez la relecture d’Oswald de Andrade par le mouvement concrétiste des frères Campos, notamment), mais encore dans le Brésil d’aujourd’hui (le même Oswald mis à l’honneur de la Flip 2011), ce Brésil post-Lula, marqué par une volonté politique renouvelée (en même temps que féminisée en son sommet) et une santé économique qui finit, semble-t-il, par avoir quelques retombées sur l’action culturelle, en surface ou en profondeur — de consigner, par exemple, les discours et usages (créateurs, culturels, médiatiques, politiques, diplomatiques...) auxquels peut donner lieu le plus fameux tableau de l’icône du Modernisme pictural, l’Abaporu (1928) de Tarsila do Amaral.
Le magazine culturel BRAVO! publiait dans son édition de juin dernier (n°166) un article de Gisele Kato se faisant l’écho de la petite actualité politico-diplomatique de cette toile.
Pour la matière traitée comme pour le ton (emphase comprise) et le positionnement de la journaliste, nous avons souhaité en donner la traduction, alimentant ainsi la réflexion, peu ou prou constitutive du blog Bois Brésil & Cie, sur la réception du Modernisme brésilien.


La muse du Brésil cosmopolite
par Gisele Kato

[Traduit du portugais.]

Comment l’artiste Tarsila do Amaral et sa toile Abaporu sont devenus des symboles nationaux — au point que la présidente Dilma Rousseff a entrepris d'avoir le tableau à Brasília. Le peintre fait l’objet d’une exposition à Belo Horizonte, où son art est confronté à celui d’autres modernistes.

Peu après sa prise de fonctions en tant que première présidente de l’histoire du pays, Dilma Rousseff a fait à l’Itamaraty [le ministère brésilien des affaires étrangères, NdT] une demande quelque peu inhabituelle pour un chef d’État. Elle souhaitait voir la toile Abaporu, de Tarsila do Amaral (1886-1973), parmi les pièces d’une exposition au Palais du Planalto [le palais présidentiel, à Brasília, NdT] qui avait pour thème l’art produit par des femmes. Et le 23 mars, après de longues négociations entre le Ministère des Relations Extérieures brésilien et le Musée d’Art Latino-Américain d’Argentine, le Malba — auquel le tableau appartient —, Dilma a inauguré l’exposition collective en soulignant justement la présence du tableau de Tarsila à Brasília. Son discours, de près de dix minutes, a tout entier tourné autour de l’œuvre mythique qui, en 1928, inspira la principale pièce propagandiste du modernisme brésilien, le Manifeste anthropophage. Dilma a déclaré : « L’Abaporu a une symbolique toute spéciale pour nous, Brésiliens. […] Je voudrais rappeler que abaporu signifie “homme qui mange les gens, homme qui mange de l’homme”, dans le sens de notre mouvement anthropophagique, qui est notre capacité à absorber ce qu’il y a d’universel dans toutes les cultures et à le métaboliser dans le particulier ».

La présidente a capté, dans son discours et son attitude, un sentiment récurrent chez les Brésiliens qui, amateurs ou spécialistes, apprécient l’art : le sentiment que le peintre Tarsila do Amaral est l’artiste qui a le mieux traduit ce qui devait être appelé plus tard « esprit de brésilianité ». Et que s’il y a d’elle un tableau qui aujourd’hui résume cela dans l’imaginaire collectif, c’est précisément l’Abaporu, cette toile qui a atteint en 1995 une valeur record pour la production nationale, en se voyant estimée à 1,43 millions de dollars lors d’une vente dans la prestigieuse maison new-yorkaise Christie’s (ce record ne fut battu que l’année dernière, par Sol sobre paisagem, de 1966, de Antonio Bandeira). La « symbolique » à laquelle se réfère Dilma a à voir avec le fait que Tarsila — le personnage et son œuvre — a survécu à son temps, en exprimant des valeurs qui paraissent pertinentes aujourd’hui encore. Sa biographie est ponctuée par des épisodes de courage : en fin de compte, qui, à cette époque-là, dans les années 1920, eût rompu un mariage ennuyeux pour affronter les expériences qui allaient alimenter des créations révolutionnaires ? Le Brésil qui émerge des toiles de Tarsila, vibrant et en rien timide devant le monde extérieur, est encore ce que beaucoup souhaitent pour le pays — et parmie eux la présidente, bien entendu.

L’engagement personnel de Dilma dans le processus de prêt de l’Abaporu au Brésil a particulièrement touché le banquier argentin Eduardo Costantini, le propriétaire du tableau. « J’ai été très surpris par l’amour de Dilma pour l’art et aussi par sa connaissance du sujet », a déclaré le collectionneur dans une entrevue à BRAVO!. Costantini affirme que, depuis qu’il a acquis la toile lors de la vente dont on a tant parlé, à New York, il reçoit chaque année plusieurs propositions de marchands brésiliens pour acheter l’œuvre. Mais qu’il ne renonce pas au tableau. D’après la journaliste Mônica Bergamo, de la Folha de São Paulo, un groupe d’investisseurs brésiliens aurait déjà manifesté son intérêt en ce sens. « Ce ne sont que des informations, non confirmées. Mais nous aimerions beaucoup », a déclaré la présidente Dilma Rousseff à la journaliste.

Costantini aurait reçu une autre proposition. D’après lui, si nous voulions vraiment avoir le tableau chez nous, la solution serait d’ouvrir une filiale du Malba au Brésil, investissement qui devrait être soutenu par des hommes d’affaires brésiliens : « Je crois qu’un tel projet tournerait autour d’au moins 100 millions de dollars, ce qui recouvre la construction d’un édifice et un fond pour soutenir un programme muséologique ». Si Costantini ne veut pas se défaire de l’Abaporu, ce n’est pas seulement en raison de la charge symbolique de la toile, mais aussi parce qu’elle est une source d’attraction pour le public. Il n’est pas exagéré de dire que la création de Tarsila est la principale raison pour laquelle beaucoup des mille visiteurs que le Malba reçoit chaque jour achètent un ticket et franchissent sa porte d’entrée.

Une exposition qui se tient actuellement à la Casa Fiat de Cultura, à Belo Horizonte, intitulée « Tarsila et le Brésil des modernistes » [clôturée le 10 juillet, NdT], compare des œuvres de l’artiste avec celle d’autres peintres de la même époque, en les plaçant côte à côte. Dans la décennie 1920, exactement lorsque le Brésil cherchait à affirmer son visage, voilà que surgit une jeune femme belle, talentueuse, intelligente, spirituelle, cultivée, riche et récemment arrivée d’Europe, où elle avait pris contact avec les grands maîtres des avant-gardes, en disant : « Je suis profondément brésilienne et je vais étudier le goût et l’art de nos caipiras [les paysans de l’intérieur du Brésil, blancs ou métis, spécialement dans l’État de São Paulo ; NdT]. J’espère, à l’intérieur du pays, apprendre auprès de ceux qui n’ont pas encore été corrompus par l’académie ». Elle devint aussitôt la muse du modernisme. Et muse en un sens si large qu’elle rayonne encore aujourd’hui. Fille d’un riche producteur de café, Tarsila rentra au Brésil, après un séjour à l’étranger, quatre mois après la Semaine d’Art Moderne de 1922. Elle arriva trop tard pour les manifestations sur la scène du Théâtre Municipal de São Paulo, mais assez tôt pour se joindre immédiatement aux amis Anita Malfatti (1889-1964), Menotti del Picchia, Oswald et Mário de Andrade, au sein de ce qui est resté connu comme « le groupe des cinq ». De toute part, dans la Cadillac verte d’Oswald de Andrade, ils agitèrent la capitale paulistaine. Et, indirectement, le Brésil.

« Systématisation intelligente du mauvais goût »

Dans ce contexte, il y a une année-clé dans l’histoire de l’artiste : 1924. En février de cette année, le poète franco-suisse Blaise Cendrars arriva au Brésil pour s’y voir guider par Tarsila et Oswald, qui s’aimaient depuis 1922. Tous trois, avec l’amie Olívia Guedes Penteado, une riche dame de la société et grande protectrice du modernisme, décidèrent de se plonger dans les racines nationales, ce qui signifiait à l’époque explorer les collines de Rio et l’intérieur du Minas Gerais. Ces voyages eurent pour résultat un bond énorme dans l’art de Tarsila. On peut dire que ce fut là, au cours de ces jours de découvertes, que l’artiste réussit réellement à introduire les thèmes brésiliens dans ses toiles. Ce fut à cette époque également qu’elle trouva les tons forts avec lesquels elle allait parler du pays. D’une manière assez instinctive, mais qui ne pouvait être atteinte qu’avec la connaissance avancée qui était la sienne en matière de peinture, Tarsila inventa ce concept de brésilianité qui explique sa popularité aujourd’hui encore, chose qu’aucun autre artiste de cette époque n’a pu obtenir de près ou de loin.

À partir de 1924, dans les tableaux de Tarsila do Amaral, se trouve beaucoup de ce Brésil qui peuple actuellement l’imaginaire collectif. C’est peut-être l’écrivain Mário de Andrade qui a été le premier à le reconnaître, dans son essayisme baroque, qui cherche des définitions précises dans un style mordant et contondant : « L’on peut dire que dans l’histoire de notre peinture, elle fut la première qui parvint à réaliser une œuvre de réalité nationale. […] Chez Tarsila, comme d’ailleurs dans toute vraie peinture, le sujet n’est qu’une condition supplémentaire d’enchantement ; ce qui constitue vraiment cette brésilitude immanente dans ses tableaux, c’est la réalité plastique elle-même : un certain caipirisme bien employé de formes et de couleurs, une exceptionnelle systématisation intelligente du mauvais goût ». La critique d’art Aracy Amaral, auteur de la biographie la plus appréciée sur l’artiste, Tarsila : Sua obra, seu tempo (rééditée en 2010 par l’Editora 34), renforce cette idée : « Dans le cas de cette peintre, nous voyons reflétée dans son œuvre notre sous-développement humain, avec tout le charme, dans le sens d’un “exotisme” pour l’étranger, qui lui est également implicite. » L’historienne d’art Maria Alice Milliet, qui dirige la Fondation José et Paulina Nemirovsky, à São Paulo, en est d’accord : « Tarsila est une borne de l’imagerie nationale. À partir d’elle, l’art brésilien est allé à la rencontre d’une voix qui lui soit propre ».

L’exposition qui se tient à Belo Horizonte explore largement cette idée du Brésil construite par Tarsila, en la plaçant côte à côte avec celle d’autres noms de la même période, comme Ismael Nery (1900-1934), Di Cavalcanti (1897-1976) et Lasar Segall (1891-1957). D’une certaine manière, tous les peintres modernistes avaient un même objectif : créer une identité nationale au moyen d’images. Pour la commissaire de l’exposition, Regina Teixeira de Barros, une gravure de Oswaldo Goeldi, par exemple, qui se caractérise par l’exploration du clair-obscur et du côté le plus sombre de la société, n’en dit pas moins sur notre quotidien que le coloris exubérant et souple de Tarsila. À tel point que, dans l’exposition collective de la Casa Fiat de Cultura, ils se retrouvent associés. Mais il n’y a pas lieu de se disputer à propos l’imaginaire collectif. Dans l’inconscient des gens, en fin de compte, c’est l’Abaporu qui apparaît souverain. Ou, si ce n’est cette toile en particulier, du moins la palette de couleurs de l’artiste pauliste et ses animaux anthropophagiques. Et pour comprendre cette popularité qui est la sienne, la seule habileté picturale ne suffit pas. Parce que, dans ce domaine, d’autres rivalisent avec elle. L’artiste, néanmoins, a su ajouter à son talent artistique une personnalité hors du commun, qu’elle ne s'est pas contentée d’exhiber, mais qu’elle a alimentée autant qu’elle put.

Tarsila portait les cheveux attachés à l’arrière et des boucles d’oreille toujours grandes. Elle parlait le français sans accent. Ainsi que l’anglais, le catalan et l’italien. Elle se débrouillait bien en allemand. Elle jouait du piano et adorait la musique classique. Elle s’habillait chez Paul Poiret et Lanvin, les meilleurs couturiers de Paris, ville qu’elle visitait fréquemment autant pour revoir ses amis que pour renouveler ses connaissances culturelles — et sa garde-robe, bien entendu. Sa présence provoquait un tel frisson là où elle passait qu’il se trouve, dans les biographies qui lui ont été consacrées, des histoires légendaires de fêtes et de réunions qui s’interrompirent littéralement pour la voir entrer. L’une d’elles eut lieu en mai 1923, durant un dîner offert par l’ambassadeur Souza Dantas en hommage à Santos Dumont, dans un luxueux hôtel parisien. La réception était prévue pour 20h30. Tarsila n’apparut qu’à 21h15. Mais, lorsqu’elle arriva, elle se montra magnigique, avec un manteau rouge au col haut. On ne parla de rien d’autre pendant le reste de la soirée. C’est après ce dîner que Tarsila peignit l’autoportrait Manteau rouge, où elle se tient fermement, regardant le spectateur, et la poitrine découverte, une audace pour l’époque. Autrement dit, elle ne craignait pas d’être désirée et, même, d’exploiter cette image en public. « Tarsila a inventé un type, comme le fit Frida Kahlo en adoptant l’habit mexicain », explique la commissaire indépendante Denise Mattar. Se sentir ainsi, si maîtresse d’elle-même, lui était même naturel. On dit que tous les artistes qui la fréquentaient sont dans une certaine mesure tombés amoureux d’elle. Mais ce fut l’écrivain Oswald de Andrade, beau et influent lui aussi, qui finit par avoir l’avantage.

Exporter la feijoada et la caipirinha

Tarsila et Oswald se marièrent en 1926 — lui avait 46 ans, elle 40, âge auquel elle obtint finalement l’annulation de son premier mariage — et se séparèrent en 1930. Le temps pendant lequel ils restèrent ensemble coïncide justement avec la période la plus fertile de leur carrière. Leur compagnonnage dépassa de beaucoup le domaine particulier : à Paris et à São Paulo, dans les années 1920, ils formèrent une espèce de griffe. Ils étaient une référence pour la mode, la décoration de la maison — leur salle à manger comprenait des meubles signés pas Poiret —, le comportement, l’art. Tarsila voyageait en France et tenait à y organiser des déjeuners typiquement brésiliens, avec feijoada et caipirinha. Ici, au Brésil, le couple recevait les étrangers comme s’ils avaient été les véritables ambassadeurs du pays. Enfin, ils se débrouillaient fort bien dans ce que l’on appelle aujourd’hui le marketting personnel — actuellement si nécessaire dans tous les domaines, y compris dans celui des arts visuels. L’Abaporu fut peint en 1928, au milieu de cette effervescence. Tarsila créa la toile dans le silence de la nuit, pour en faire la surprise à Oswald et la lui offrir en cadeau d’anniversaire. Elle réussit bien plus que cela. Oswald fut tellement stupéfait de ce qu’il vit, qu’il appela aussitôt son ami le poète Raul Bopp. La légende dit que Bopp aurait alors demandé : « Pourquoi ne pas faire un mouvement autour de ce tableau ? » Peu de temps après, ils publièrent le Manifeste anthropophage.

Chez les spécialistes en art, le désir de la présidente Dilma Rousseff de voir l’Abaporu de retour au Brésil ne rencontre pas beaucoup de soutien. « La dimension que la toile a atteinte est tout à fait juste. Maintenant, je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas rester au Malba, où elle est très bien présentée », dit la critique Cacilda Teixeira da Costa. Le directeur de la Pinacothèque de l’État de São Paulo, Marcelo Araujo, est d’accord : « Le retour de l’Abaporu au Brésil serait pertinent, mais nous ne pouvons pas ne pas reconnaître l’importance que son accrochage actuel, dans le cadre d’une exposition permanente d’art latino-américain au Malba — peut-être la plus consistante initiative du genre dans le monde entier —, apporte à la divulgation et à la mise en valeur de l’art brésilien ». Le directeur du Musée d’Art Contemporain de l’USP [Université de São Paulo, NdT], le MAC, Tadeu Chiarelli, approuve : « Je considère qu’il est très bon pour nous tous qu’une œuvre de cette importance pour le Brésil se trouve dans un musée à l’étranger, aidant à attirer l’attention sur l’art qui est produit ici ».

L’idée d’apporter l’Abaporu au Brésil rencontre ainsi plus d’écho dans les milieux politiques. Elle fait sens. Le tableau est un symbole, et rapatrier un symbole peut toujours apporter des dividendes électoraux. Surtout parce que Tarsila est liée à un concept cher à l’époque : le cosmopolitisme. La femme qui présenta la caipirinha aux Parisiens était une citoyenne du monde, et son œuvre reflète cela. Avec humour, ses toiles incorporent bien souvent un point de vue étranger. Le tableau Carnaval em Madureira, de 1924, une représentation de la banlieue de Rio, porte en son centre, ironiquement, une Tour Eiffel [voir une reproduction ici : http://www.tarsiladoamaral.com.br/versao_antiga/images/JPG/CARNAVAL50.jpg]. Cartão postal, de 1929, montre une forêt avec des animaux exotiques — peut-être une plaisanterie à propos des peintres voyageurs du XVIIe siècle, qui ajoutaient à la faune locale des animaux qui n’existaient qu’en Europe et en Afrique [voir une reproduction ici : http://www.tarsiladoamaral.com.br/versao_antiga/images/JPG/CARTAOPOSTAL50.jpg]. Tarsila voyait son pays avec des yeux brésiliens et étrangers, elle jouait avec le mélange — et ce regard double nous déconcerte, comme c’est le cas avec l’Abaporu. Ainsi, le destin du tableau n’importe pas tant. À Buenos Aires ou ici, ce qui est fondamental c’est que la toile, avec son caractère d’œuvre-synthèse, continue à nous enchanter — et à nous inspirer.

[Pour le texte original de l’article, en ligne :

15 août 2011

Propagande transatlantique 4

À l’occasion des festivités de la Flip dédiée cette année à Oswald de Andrade, est paru au Brésil, dans le journal Valor Econômico (8-10 juillet 2011, supplément « Fim de semana », p.24), un petit article de Mônica Cristina Corrêa qui se fait l’écho de la récente édition, en France, de l'ouvrage Bois Brésil (Poésie et Manifeste).
Nous en donnons la traduction.

[Cliquer pour agrandir.]

Oswald et la présence du Brésil à l’étranger
Mônica Cristina Corrêa
Pour Valor, de Paris

[Traduit du portugais.]

À la 9ème Festa Literária Internacional de Paraty (Flip), qui se tient jusqu’à dimanche, trois volets sont promus par la Câmara Brasileira do Livro (CBL) dans le but d’actualiser un débat : la répercussion de la littérature brésilienne à l’étranger. Ces thèmes et discussions semblent être à l’ordre du jour, alors que l’écrivain à l’honneur de cette édition de la Flip, le consacré Oswald de Andrade (1890-1954), représentait récemment encore une lacune dans les traductions en France, par exemple, pays où fut publié pour la première fois, en 1924 [sic ; 1925], Pau Brasil. Si l’on considère qu’il y avait aussi, dans la « brésilianité » d’Oswald, le projet de faire découvrir notre pays à l’étranger, il s’agit là d’un phénomène éditorial surprenant et ironique.
Une élite culturelle brésilienne, dans les années 1920, circulait à Paris, et Oswald, en compagnie de la peintre Tarsila do Amaral, comptait parmi les artistes. La découverte de ce groupe choisi par le poète franco-suisse Blaise Cendrars permit une certaine reconnaissance, à l’époque, du travail des avant-gardistes brésiliens. C’est à Cendrars, d’ailleurs, qu’Oswald allait dédier la première édition de Pau Brasil. Le projet de transcender les frontières pour montrer un Brésil moins exotique et doué de traits propres se trouve dans la poésie oswaldienne, qui ne manquait pas d’audace.
Néanmoins, la publication d’abord française de son œuvre et l’absence d’une traduction complète de Pau Brasil (il n’y avait jusqu’alors que des poèmes en anthologies) ont fini par constituer un épisode à part dans l’histoire des relations littéraires franco-brésiliennes.
De fait, il aura fallu attendre l’initiative d’un jeune chercheur français, Antoine Chareyre, qui est arrivé à Oswald de Andrade par l’intermédiaire de Cendrars, objet de ses travaux. Pareille découverte l’a amené à publier, pour la première fois en France, la traduction de Pau Brasil (aux Éditions de la Différence), l’année dernière. Avec une longue préface, Chareyre offre au lecteur français la compréhension d’un poète brésilien majeur, mais qu’il considère d’un avant-gardisme universel. « En mettant de côté l’image du Brésil [celle que travaillent et véhiculent les poèmes de Pau Brasil ; NdT], l’œuvre mérite d’être reçue comme un legs à évaluer en tant que patrimoine poétique universel, qui dialogue avec d’autres voix de la poésie moderne. Ce serait une réduction de ne parler que de sa brésilianité, bien que celle-ci fût pleinement assumée et promue par l’auteur », a déclaré le traducteur dans un entretien pour Valor, à Paris.
Fruit d’un voyage au Brésil et d’un travail de plus de deux années de recherche, Bois Brésil est une édition bilingue fort soignée. Les notes finales aident aussi à la compréhension d’un contexte qui date déjà de près d’un siècle. La vision est celle d’un chercheur en littérature spécialiste des avant-gardes. Si Chareyre a comblé une lacune inexplicable dans la littérature brésilienne traduite en France, son interprétation de l’œuvre va au-delà, ainsi qu’il l’affirme : « La question est de savoir si Oswald est pour nous un Brésilien qui écrivit de la poésie, ou un poète qui fut brésilien. » La réponse dépendra, sans aucun doute, des (re)lectures que son travail propose, en même temps qu’il impose une réflexion opportune sur la réception de notre littérature outre-Atlantique.

Mônica Cristina Corrêa est docteur en langue et littérature française à l’Universidade de São Paulo.

19 juin 2011

Prépublication - Ferro au Brésil - 1

António Ferro

L’Âge du Jazz-Band
(1923)


[Première partie]

               Je vis dans mon Époque comme je vis dans ma Patrie, et comme je vis à l’intérieur de moi. Mon Époque c’est moi, c’est nous tous, les minutes de l’heure, de cette heure fébrile, de cette heure dansée, de cette Heure-Ballet-Russe*, où les aiguilles de l’horloge sont soit les bras d’une femme effilée, soit les jambes d’une ballerine maigre dansant sur les chiffres qui, sur le cadran, indiquent les étapes* du temps, comme si elles dansaient dans la neige — sur des poignards… Je ne comprends pas, de quelque manière que ce soit, la nostalgie maladive des autres époques, la nostalgie des âges morts, cette sorte de ronde de fantômes, plaintive et sinistre, qui rôde par ici — fox-trot de squelettes mutilés… Avoir la nostalgie des siècles qui sont morts, c’est avoir vécu dans ces siècles, c’est n’être pas d’aujourd’hui, c’est être un cadavre et feindre d’être vivant…
               Tout comme notre village est le plus beau de tous parce que c’est notre village, notre Époque devra être la plus belle de toutes parce que c’est notre Époque…
               Aimons notre Heure telle qu’elle a été engendrée, avec toutes ses monstruosités, avec toute sa lumière et avec toute son obscurité… Notre Époque ne se juge pas : elle se chante…
               La tunique, le péplum, la chlamyde, la culotte et le bas, les chapeaux de plumes, sont des loques du Passé. L’Habillement moderne, Mesdames et Messieurs, est de chair, d’os et de sang. L’humanité a déteint sur les vêtements. Les pleureuses des siècles morts, momies de la tradition et du préjugé, censurent, comme de vieilles acariâtres, l’artificialisme de notre Époque. Mensonge ! Il n’y a jamais eu d’époque aussi humaine. L’humanité d’aujourd’hui est si grande, si forte, si dogmatique, qu’elle a cessé d’exister dans les corps, pour passer dans les vêtements, se répandre dans le mobilier, dans les maisons, s’épancher dans les livres… Seul l’Artifice est naturel. En ce siècle tout vit, tout s’agite, tout pense. Il y a plus d’humanité dans une robe* de Paquin que dans le corps qui la porte… Le vêtement a une vie plus intense et plus impérative. Le corps obéit. Le vêtement ordonne. Un corps est égal à tous les corps ; un vêtement est un corps unique. La Vie s’est chargée de la Vie. Nos yeux, notre bouche, nos mains, sans cesse fécondent, sans cesse mettent au monde… Je prononce ces phrases et elles prennent forme, se dispersent dans cette salle comme des gnomes invisibles, se dissimulent dans vos coiffures, Mesdames, dans vos sourires, dans vos gestes…
               L’Art moderne a révolutionné la Vie, a proclamé l’Humanité partout où elle existe et partout où elle n’existe pas. Il n’y a déjà plus de place pour le doute. Tout vibre, tout palpite. Croire est un devoir. Le scepticisme, l’incrédulité n’ont de justification que devant ce qui est réel. Et même dans ce cas ce qui est réel — existe… La réalité existe, en vérité, mais comme un mannequin — le mannequin du mensonge… Croire, croire toujours, malgré tout, malgré nos propres yeux… Croire c’est créer. En tout croyant existe Dieu, existe un Dieu. Seul est artiste l’homme qui croit, qui croit en son âme — comme en un corps. La croyance est la réalité. Si nous cessions de croire, le monde cesserait d’exister. La Vie appartient à l’imagination de Dieu, comme l’Art appartient à l’imagination de l’Homme. Si Dieu cessait de penser à nous — nous ne serions pas… Nous sommes pour Dieu — comme les Rêves sont pour nous… Et Dieu nous délivre des insomnies de Dieu… Si Dieu a l’idée de se réveiller — l’humanité s’endort. Les planètes sont les rêves du Créateur. Mais le rêve de la terre est un cauchemar… Ce cauchemar ne peut durer longtemps. Il devient urgent, par conséquent, de faire un pied-de-nez* à la mort, d’anticiper notre disparition, de nous suicider en croyance, de proclamer le mensonge comme unique vérité…
                Tout n’est déjà plus à faire, en ce sens.
               Sur la vieille humanité de corps et d’âmes, une nouvelle humanité se forme, une humanité de vêtements et de teintes… La Grande Guerre a donné aux vies humaines une telle insignifiance, les a transformées d’une telle manière en prospectus de races, que la peau, les os, la chair se sont dévalorisés, comme du papier-monnaie, pour donner une importance maximale, surhumaine, aux soies, aux casimirs, aux velours, aux organdis*, aux crêpes… Il semble ne pas y avoir de raison à ce que se soient dévalorisées la chair et l’âme des femmes parce que les femmes n’ont pas été à la guerre. Et pourtant, ce furent elles les plus sacrifiées. Les femmes de la guerre, amphores de douleur et de misère, ont recueilli en elles tout le sanglot de l’Heure, pour le dispenser, ensuite, dans leurs yeux cristallins, goutte à goutte, dans une souffrance nonchalante, dans une souffrance qui les a secouées, comme un vent furieux, qui les a réduites, qui les a transfigurées… À la fin de la guerre, les femmes se sont retrouvées seules, sans âmes, sans corps, devant leurs coiffeuses, leurs garde-robes… Pour vivre, à tout prix, pour se venger des larmes, elles n’ont trouvé qu’un recours : sur le contour de leurs corps consumés par la douleur, elles jetèrent le mensonge des vêtements impossibles, l’épiderme dansant des soies insolentes, les nerfs de l’organdi*, la poudre des crêpes… Les larmes avaient séché et les yeux avec elles. Les lèvres s’étaient flétries et les baisers avec elles… Mais quelle importance y avait-il à ne plus avoir d’yeux, à ne plus avoir de lèvres quand existaient les mains, les mains victorieuses des femmes d’après-guerre* qui font de leurs têtes les toiles sur lesquelles toutes sont peintres, sur lesquelles toutes peignent et repeignent, où toutes recherchent, comme l’on cherche la coiffure à la mode, le meilleur visage, le dernier type de beauté décrété par les Artistes…
               Les poètes et les peintres ont aujourd’hui autorité sur les corps des femmes comme les couturiers ont autorité sur leurs vêtements. Il y a des femmes à la Van Dongen, à la Matisse, à la Picasso, à la Marie Laurencin, comme il y a des vêtements de Poiret, de Lanvin, de Madeleine et Madeleine… D’ailleurs, corps et vêtement se complètent. Et en fin de compte, tout, bien pensé, n’est que vêtement… Simplement, tandis que le couturier se préoccupe de la forme à donner au corps, l’Artiste se préoccupe de l’expression… Tandis que Poiret conçoit une robe à volants*, Luc-Albert Moreau conçoit un visage… Et, pendant ce temps, Poulenc, Milhaud, Ravel, conçoivent, dans leurs mélodies, les âmes pour ces corps… Et quant aux hommes, eux non plus ne s’appartiennent plus, eux aussi évoluent absents de leurs destins. Chaque homme agite en lui un fantoche, comme toute femme agite une poupée… Nous sommes les esclaves de nos marionnettes*. La Danse triomphe comme jamais elle n’a triomphé, parce que la danse désarticule les corps, les pomponne comme des poupées, les libère du poids de l’âme, les démasque… Danser c’est vivre en mouvement, dans le vertige, danser c’est se multiplier, c’est avoir un corps dans chaque geste et dans chaque phrase, c’est se féconder soi-même, engendrer des images à partir de sa propre image, se développer comme un film*, être écran*, être l’interprète et être le drame… La danse est l’indépendance du corps. Tout, dans l’heure présente, obéit au mouvement, au rythme du corps. La grande musique est la musique des formes. Le corps et l’âme ont vécu, des siècles durant, divorcés. La danse a placé l’âme en fonction du corps, à en suivre les contours. L’humanité ne marche plus : elle danse !…
               Mes paroles ne parviennent pas à dire tout ce que je ressens, à chanter tout l’impromptu de l’Époque, la spontanéité d’une Heure dans laquelle tous les êtres, les choses, les rythmes, naissent de nos propres paroles, naissent de notre propre voix, dans laquelle la Vie éclot dans l’Art, comme une grande fleur nerveuse et fraîche, dans laquelle chaque phrase est une femme, une femme que nos lèvres désenchantent, que nos lèvres humanisent… Tout comme au contact des fils s’engendre l’électricité, au contact des lèvres, la vie peut s’engendrer… Qui sait, qui sait donc si de ma foi, si de la magie de mon Art, si de mon rythme-fakir, ne surgira pas un panache d’humanité, un jet de Vie… Ce moment est mon enfant. Le voici, le voici qui va surgir, en rythme, en forme, en vérité… Les paroles n’y parviennent pas. Je vais continuer en vous parlant de l’éloquence du Jazz-Band, de l’inquiétude d’un corps, d’un corps de femme que mon Art a conçu, d’un corps qui est tout ce que j’ai dit jusqu’à présent, en résumé… L’Art engendre la Vie, comme la Vie engendre l’Art. L’Art et la Vie sont quittes. Qu’ils ouvrent les yeux, qu’ils ouvrent les yeux sur le grand miracle… Ce n’est pas la poupée mécanique de Hoffmann. C’est une femme écrite, écrite en des lignes fébriles, une femme qui se projette, fécondée en rythme, dans le rythme des idées, dans le rythme du Jazz-Band, dans le rythme de vos âmes anxieuses… Regardez-là, regardez-là, tant qu’il est temps, tant qu’elle existe… Je vais me taire mais vos yeux vont continuer à m’entendre, à m’entendre dans les lignes torses d’un corps où Dieu a écrit droit… (1)

(1) À cet instant, un authentique jazz-band interrompit la conférence et un corps de femme surgit sur la scène, un corps qui était, principalement, une danse…

[À suivre.]

© Droits réservés pour le texte original./ A. C. pour la traduction française.