24 juin 2012

Traductions, traductions...

Deux modernistes brésiliens
dans une anthologie nord-américaine

Voilà que l’on relève la présence de Mário de Andrade et de Luís Aranha dans une anthologie qui vient de paraître aux États-Unis, Burning City : Poems of Metropolitan Modernity, éditée par Jed Rasula et Tim Conley (Notre Dame, Action Books, 2012, xx-574p.), représentés avec un poème chacun, respectivement « Typewritter » [« Máquina de escrever », tiré du recueil O Losango Cáqui de 1926] et « Cocktail » [tiré de Cocktails, composé vers 1922 et inédit jusqu’en 1984].


Les deux Brésiliens n’occupent pas le même rang, loin de là, dans les histoires de la littérature brésilienne. L’un, très fameux, a acquis une place paradigmatique, ne serait-ce qu’en tant que chef de file et théoricien du mouvement moderniste de São Paulo ; l’autre est resté plus marginal, longtemps inédit ou presque, et aurait pu demeurer tout à fait inconnu. Ils furent toutefois très complices, biographiquement et esthétiquement, et dans la diversité des tendances et sous-courants modernistes, Aranha fut peut-être le plus proche de la poésie pratiquée par Mário de Andrade autour de 1922 (bientôt en français).
De fait, à partir d’un certain prisme de lecture (favorisant l’innovation et l’engagement avant-gardiste si ce n’est expérimental), le confidentiel Luís Aranha est bien l’un des premiers à retenir l’attention, au sein de sa génération, et il n’est pas étonnant qu’à cet égard son œuvre ait pu faire l’objet de récentes traductions française (La Nerthe, 2010) et espagnole (La Isla de Siltola, 2012), en flagrante contradiction avec le canon littéraire en vigueur (et sa situation éditoriale présente) au Brésil — en somme, Aranha sera bientôt plus connu à travers le monde qu’il ne l’est actuellement dans son propre pays.
Aussi bien Mário de Andrade et Luís Aranha, pour ces mêmes raisons, se sont-ils déjà trouvés représenter à eux deux le Brésil dans une anthologie thématiquement comparable, Aviones plateados : 15 poetas futuristas latinoamericanos, éditée par Juan Bonilla en Espagne, en 1993 et 2009.


On les retrouve donc ici, quoique discrètement, dans « un “Baedecker multisensoriel” des nombreuses incarnations du modernisme international des années 1910-1939 », « inspiré par les plans abandonnés [de] Yvan Goll en vue d’écrire une histoire de la modernité à travers la poésie de cette période » (présentation de Marjorie Perloff), autrement dit en très belle et significative compagnie, dans un choix éclectique et pléthorique qui rapproche comme trop rarement des avant-gardistes historiques de tous bords, sans négliger des figures injustement oubliées.
Exemples. Des Français ou francophones (ou assimilés) avec Apollinaire, Cendrars et Reverdy, mais aussi Tzara, Jules Romains, Picabia, Pierre Albert-Birot, Nicolas Beauduin, Yvan Goll et Claire Goll, Émile Malespine, Marcel Sauvage, Jean Epstein, Clément Pansaers, Céline Arnauld. Des anglo-saxons avec Joyce, Ezra Pound, William Carlos Williams, Louis Zukofsky. Des Allemands avec Schwitters, Raoul Hausmann, Hugo Ball, Walter Mehring ; des Hollandais avec Paul van Ostaijen, Theo van Doesburg. Des Européens de l’Est et des Russes avec Tadeusz Peiper, Jaroslav Seifert, Lajos Kassak, Ilarie Voronca, Maïakovski, Kamensky, Kruchenykh, Terentiev, Iliazd, Khlebnikov, Andrei Biély. Des Italiens avec Marinetti, Ardengo Soffici, Bruno Corra, Gino Severini, Fortunato Depero, Paulo Buzzi, Francesco Cangiullo. Des Espagnols avec Ramón Gómez de la Serna ou les ultraïstes Guillermo de Torre, Humberto Rivas, Pedro Garfias, José Rivas Panedas, ou encore les Catalans Josep-Maria Junoy et Joan Salvat-Papasseit. Des Portugais avec Pessoa et Mário de Sá-Carneiro. Des Mexicains avec Jaime Torres Bodet et les stridentistes (bientôt en traduction française !) Manuel Maples Arce, Germán List Arzubide, Salvador Gallardo, Kyn Taniya. Des Hispano-américains avec Borges, Cesar Vallejo, Oliverio Girondo, Juan Marin, Salvador Reyes. Et bien d’autres…

Bref, une invitation à lire la poésie moderniste brésilienne en consonance avec toutes les voix de l’avant-garde des années 1910 et 1920, urbanophile, « modernolâtre » ou expérimentale, sur un horizon où le Brésil comme toute l’Amérique latine font trop souvent défaut.

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