24 février 2015

La critique d’avant-hier soir / Lancement Pagu (22)

De Pagu, de Jorge Amado, qui a écrit un véritable « roman prolétaire » ? Comme en réponse à Murilo Mendes, un dernier article pour mettre tout le monde d’accord. Encore un effort pour être prolétaire !

Encore sur Cacao de Jorge Amado
par Eneida

Il y a dans le livre Cacao de Jorge Amado une question qui mérite une réponse :
— Est-ce un roman prolétaire ?
Il n’y a qu’une réponse : Non. M. Jorge Amado n’a pas fait un livre prolétaire.
* * *
Toute la nouveauté, actuellement au Brésil, consiste dans la préoccupation qu’on a d’intituler comme prolétaire une littérature pornographique et fausse. Et apparaissent alors les monstrueux livres de Pagu, Oswald de Andrade, etc., etc. Gros mots. Pornographie. Dissolution. Livres typiquement fin de régime, bien faits pour les délires sexuels des demi-vierges. Mais le terme prolétaire se répand telle une épidémie.
La littérature prolétaire est irréconciliable avec le pessimisme, le scepticisme et toutes les autres espèces de prostration intellectuelle. Elle est concrète, vivante, imprégnée de collectivisme réel, et elle nourrit avec conviction une croyance illimitée dans l’avenir.
D’après les pseudo-écrivains « prolétaires » du Brésil, faire de la littérature prolétaire c’est écrire de manière fautive, employer mal tous les mots et envisager avec une profonde naïveté les choses de la vie.
Cacao est ainsi.
* * *
Ceux qui connaissent par le fait de quoi se compose un prolétaire et un révolutionnaire, en lisant Cacao, sauront que Jorge Amado ne peut être tout au plus qu’un révolté et un petit-bourgeois, avec tous les défauts typiques de sa classe.
Le livre, en prenant un caractère autobiographique, travail individualiste de petit-bourgeois désespéré parce que sa position d’infériorité économique ne lui permet pas d’épouser (civilement et religieusement) la fille du maître d’esclaves : le patron.
Rien chez lui n’est révolutionnaire. Son ascendance : des parents aisés. Son enfance heureuse, et lorsque, adolescent, il rompt avec son oncle, c’est en raison d’une question de femmes.
Le livre tout entier reflète un individualisme égoïste. Il n’y a pas de vie. Il n’y a pas de concrétisation des fins. Il ne parvient pas à révolter. Il ne parle pas à la collectivité. Son auteur nie l’axiome du matérialisme dialectique : la vie détermine la conscience.
À la lecture des 197 pages, nous apprenons que le père (du narrateur ?), bien que… « aimant beaucoup la musique » et possédant une usine où les conditions de travail et de vie ne sont pas (ne peuvent être) différentes, dans ce régime capitaliste, des autres usines, n’exploite pas trop ses ouvriers. Ensuite vient la « gloire » d’être de bonne famille, ce que l’auteur souligne au long des 197 pages, comme si les travailleurs étaient de mauvaise famille
Quel écrivain prolétaire (au sens véritable du terme) peut ignorer la lutte des classes ?
D’après Jorge Amado, les travailleurs du cacao, et tous les travailleurs du Nord et du Nord-Est, vivent une vie de débauche, d’ivrognerie, de prostituées et de démonstrations de bravoure. Rien, absolument rien dans ce livre n’éclaire, ne met à nu la tragédie économique des travailleurs de la campagne, la tragédie économique qui, ici plus aiguë, là moins, est toujours et partout la même tragédie de l’exploitation de l’homme par l’homme. Des ouvriers qui apparaissent dans Cacao, aucun n’a une conscience de classe, et pourtant nous autres ressentons que le travailleur du Brésil est déjà en train de se réveiller et de comprendre la seule vraie ligne à suivre. Mais le livre de Jorge Amado est une débauche constante. Les femmes, toutes, remarquez bien, toutes les ouvrières dans Cacao sont, ont été ou seront prostituées. Pourtant, la fille du patron, l’enfant mondaine, la poétesse crétine, celle-là mérite presque son adoration, et apparaît avec une sympathie toute spéciale. N’est-ce pas là une solidarité de classe ?
Dans Cacao, nous n’avons aucun contact avec la masse. Nous connaissons deux ou trois ouvriers : l’un parce qu’il tue des gens, l’autre parce qu’il fait le fier chez les prostituées, et seulement un parce qu’il sait qu« il y a quelque chose ». Mais (crainte ? ignorance ?) l’auteur se refuse à nous expliquer ce qu’est ce « quelque chose », se refuse à nous dire ce que ressent cet ouvrier, ce qu’il pense, et, avec un sentiment de lâcheté qui accompagne chaque ligne du livre (et à tel point qu’elle en arrive même à faire en sorte que ne soit écrit qu’une seule fois le mot : bourgeoisie), il fait de ce personnage une petit-bourgeois confus (comme l’auteur) davantage qu’un ouvrier.
* * *
Pour Jorge Amado, la question sociale n’existe pas. Il n’est préoccupé et absorbé que par une question : la question sexuelle. Et de décrire des cuisses rondes, des ventres généreux et d’autres petites choses excitantes, bien faites pour la joie et l’amusement de la petite bourgeoisie.
* * *
Dans Cacao, toutes les questions s’emmêlent. Rien n’est clair. Tout se confond. La lâcheté politique, la lâcheté intellectuelle, la lâcheté religieuse (dieu prend encore un grand d), et il ne sait même pas pourquoi les prostituées sont des croyantes convaincues, ni la raison pour laquelle il y a des petits saints près des lits, dans les bordels. Jorge Amado pense également que la révolution prolétarienne sera faite avec les prostituées… Là-dessus son livre garantit qu’un jour « les rues de la prostitution se lèveront »… Jorge Amado ne sait même pas que la prostitution est un produit du régime lui-même, que la prostitution résulte de toute la tragédie économique créée par ce régime et qu’elle ne disparaîtra qu’avec le développement de la société socialiste en marche vers le communisme.
* * *
Les travailleurs, dans Cacao, ne pensent pas un seul instant à s’organiser. Ils ne discutent pas des possibles améliorations sociales dont jouiront leurs frères de classe en ville. Ils ne disent rien de la révolte d’une classe opprimée et forte qui coule dans leurs veines. Enfin, rien qui nous donne une idée de collectivisme.
La littérature prolétaire a pour finalité non seulement de transmettre le point de vue collectif, mais également d’orienter la conscience du prolétariat dans le sens de ses objectifs finaux.
Jorge Amado sait-il quels sont les objectifs finaux du prolétariat ? Non. Il pense que la lutte des classes ça n’est que « quelques mots plus beaux que la générosité », il pense également que la solidarité de classe c’est… ne pas épouser la fille du patron.
* * *
La littérature prolétaire n’est possible qu’au sein du régime prolétaire.
La littérature révolutionnaire est celle qui, au sein du régime capitaliste, parle de près des intérêts économico-politiques du prolétariat et des couches appauvries de la société.
* * *
Au moment critique de la lutte des classes que nous vivons, dans le heurt des antagonismes irréconciliables de la bourgeoise, à l’heure héroïque où les masses opprimées des campagnes et des villes attendent le signal pour se réunir et ensuite avancer, ce ne seront pas ces œuvres mystificatrices étiquetées comme prolétaires et révolutionnaires qui détourneront le prolétariat brésilien et international de son assaut décisif, pas plus qu’elles ne détourneront le cours du processus révolutionnaire tracé par le matérialisme historique.
* * *
Et aux entreprises inavouables d’éléments anarchiques et fauteurs de division comme l’œuvre de Jorge Amado, le prolétariat brésilien répondra que « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Rio, novembre 1933.

(Eneida, « Ainda sobre Cacau de Jorge Amado »,
O Homem Livre, São Paulo, rédacteur en chef : Geraldo Ferraz,
1e année, n°21, 3 janvier 1934, p. 4.)

N. B. : Eneida, nom sous lequel se faisait appeler Eneida de Villas Boas Costa de Moraes (1904-1971), écrivain et journaliste, fut une militante éphémère au PCB dont elle fut écartéeen tant qu’intellectuelle, en même temps que son compagnon José Vilar (secrétaire-général du Parti de janvier à novembre 1932), tous deux étant trahis par la camarade Patrícia Galvão obéissant aveuglément aux ordres de l’appareil prolétarisé. Emprisonnée elle aussi sous l’Estado Novo, elle connaît en détention Olga Benario, la compagne de Prestes, et le romancier Graciliano Ramos, qui l’évoque dans ses Memórias do Cárcere (éd. posthume, 1953 ; Mémoires de prison, éd. et trad. Antoine Seel et Jorge Coli, Gallimard, « Du monde entier », 1988).



À paraître :
Patrícia Galvão (Pagu)
Parc industriel
(roman prolétaire)
Inédit en français
Prologue de Liliane Giraudon
Le Temps des Cerises
mars 2015

La critique d’avant-hier soir / Lancement Pagu (21)

Note sur Cacao
[et sur Parc industriel]
par Murilo Mendes

Cacao est-il un roman prolétaire ? demande Jorge Amado dès l’ouverture du livre. Il faut avant toute chose savoir ce que l’auteur entend par roman prolétaire. Je pense que la mentalité prolétaire est encore en formation ; ce n’est qu’à présent que le prolétariat prend conscience de son rôle historique ; par conséquent, surtout dans des pays au développement capitaliste très en retard, comme le nôtre, il n’existe pas encore une mentalité prolétaire. Naturellement, l’écrivain qui ne trouve pas de motifs d’inspiration dans la vie déjà en décomposition de la société bourgeoise, devra observer la vie des prolétaires, et, s’il veut être un écrivain révolutionnaire, devra s’intégrer à l’esprit prolétaire, dans le cas contraire il fera un simple reportage. Le cas récent de Pagu est typique. « Roman prolétaire », annonce l’auteur au frontispice de Parc industriel. Il y a erreur. C’est un reportage impressionniste, petit-bourgeois, réalisé par quelqu’un qui souhaitait franchir le pas mais ne l’a pas fait. On assiste à l’entrée à l’usine, à la sortie de l’usine, à des rencontres entre le fils du grand capitaliste et la fille de l’ouvrier, etc. Il semble que pour l’auteur l’objectif de la révolution soit de résoudre la question sexuelle.
Sur le parc industriel proprement dit, on sait peu de choses.
Quant à Cacao, ce livre a une tout autre consistance. L’auteur examine la vie des travailleurs de la plantation de cacao avec une ample vision du problème, et ne sacrifie pas au pittoresque l’intérêt humain du drame. Du point de vue littéraire il est bien écrit, sans excès de détails descriptifs ; les conditions de vie dans les plantations sont présentées schématiquement, il y a du mouvement, du naturel dans les dialogues. Les personnages sont plutôt réalistes, même si la fille du Colonel, vers la fin du livre, a de ces palpitations qui nous font penser que l’auteur a voulu faire de la littérature. […]
Avec ce livre, Jorge Amado rejoint l’élite des nouveaux écrivains brésiliens.

(M. Mendes, « Nota sobre Cacau »,
Boletim de Ariel, Rio de Janeiro, n°12, septembre 1933, p. 317.)

N.B. : Murilo Mendes (1901-1975), auteur des éditions Ariel, publiait là dans la revue des éditions Ariel un compte-rendu sur un livre publié aux éditions Ariel. Il s’agit du 7e et dernier écho critique, le seul négatif, consacré à l’époque au roman de Patrícia Galvão (Pagu) qui fut le premier « roman prolétaire » au sens strict publié au Brésil, six mois avant celui de Jorge Amado, lequel connut un autre succès…

À paraître :
Patrícia Galvão (Pagu)
Parc industriel
(roman prolétaire)
Inédit en français
Prologue de Liliane Giraudon
Le Temps des Cerises
mars 2015

Le scandale d’avant-hier soir / Lancement Pagu (20)

La police de Santos a incarcéré
un couple suspect
Pagu distribuait des bulletins subversifs
dans la ville voisine

Santos, le 29 (De la succursale du Diário Nacional) — Dimanche, peu avant 21 heures, un inspecteur de police, tandis qu’il passait par la place Telles, a repéré un couple en train d’y transiter. En observant bien les deux silhouettes, il est arrivé à la conclusion qu’ils étaient étrangers à la ville. Il s’est approché du couple suspect et l’a interpellé, étant mal reçu de lui. Voyant son autorité contestée, l’inspecteur a fait venir un fourgon carcéral pour conduire les deux inconnus au poste de police, qui se trouve dans les environs de la place Telles.
Au poste, le couple suspect a été interrogé par les autorités : elle, sur un ton arrogant, a déclaré qu’elle s’appelait Patrícia Galvão et lui Romão Guerreiro, imprimeur de profession. En les fouillant au corps, les autorités ont trouvé en leur possession plusieurs brochures subversives appelant les travailleurs des docks à se déclarer en grève.
Patrícia, relativement exaltée, a porté outrage aux autorités, rendant nécessaire la présence du commissaire régional, le capitaine Heitor Blanco Pedroão. Informé de ce qui se passait, le commissaire régional a ordonné le transfert du couple dans la prison publique, d’où Patrícia a été aujourd’hui transportée à São Paulo, afin d’être remise en liberté.
Son compagnon est resté en détention pour vérifications.
Patrícia Galvão, ou Elza Pagu, est relativement connue dans cette capitale, où elle fut, il y a peu encore, impliquée dans un conflit avec les étudiants de Droit, en raison de publications considérées comme injurieuses par ces derniers.
Aujourd’hui même, en soirée, la police a été informée de ce que Pagu était revenue dans la ville, pour continuer sa campagne subversive.

(« A polícia de Santos efetuou a prisão de um casal suspeito :
Pagu estava distribuindo boletins subversivos na visinha cidade »,
Diário Nacional, São Paulo, 30 juillet 1931.)

23 février 2015

Mise à jour

Pour l’édification des curieux, Bois Brésil & Cie propose une version revue, actualisée et augmentée du post consacré en 2011 à la Suite suggestive (Cinémas) (1929) de Villa-Lobos, rare et précieuse mise en musique de trois poèmes d’Oswald de Andrade dans des versions françaises inédites.

C’est ici.

22 février 2015

Deux regards sur São Paulo / Lancement Pagu (19)


Étrange production du muet brésilien, avatar exotique du Berlin, Die Sinfonie der Großstadt (1927) de Walter Ruttmann, São Paulo, A Sinfonia da Metrópole, réalisé par Adalberto Kemeny et Rodolfo Rex Lustig (São Paulo, Rex Film, 1929, 63mn), célèbre avec des airs de propagande officielle (entre réalisme documentaire et utopie futuriste) la vie et le progrès de la fière capitale pauliste, premier « parc industriel » du Brésil moderne. Le centre, ses employés de bureau, ses hommes d’affaires et ses boutiques chic ; les avenues huppées, l’élégance des jardins publics, les sports ; les cafés, le spectacle des enseignes, les crieurs de journaux et les marchands ambulants, le mouvement des piétons et des tramways de la Light, la verticalité des premiers gratte-ciel ; la saine administration publique ; les faubourgs populaires, les ouvriers, les usines, le rythme des machines ; le capital, le travail…


Dans le même décor, cest dans le genre scénarisé et édifiant que les Fragmentos da vida de José Medina (São Paulo, Rossi Film, 1929, 40mn) font évoluer l’ouvrier, le vagabond, le voyou et la jeune fille. Misère matérielle et sexuelle, contrôle social et ordre bourgeois, surveillance policière et morale religieuse, prison et rédemption par le travail…



D’excellents documents, idéologie comprise, pour se familiariser avec le contexte urbain, social et économique du « roman prolétaire » (lui-même très cinématographique) de Pagu, Parc industriel (1933), à paraître au Temps des Cerises !


21 février 2015

Revolução ! / Lancement Pagu (18)

Olga/Pagu
Deux héroïnes de la Révolution
dans le Brésil des années 1930

ÉTOILE FILANTE : météorite dont le passage dans
l’atmosphère terrestre se signale par un trait de lumière.
(Le Petit Robert)

Elles ne se sont jamais connues, mais presque croisées — dans la clandestinité ou en prison. Leurs trajectoires exemplaires, également fulgurantes, quoique singulièrement tragique pour l’une, ont cette contiguïté qui interpelle, dans le temps et l’espace, en gravitant autour d’un même homme, Luís Carlos Prestes.
Lorsqu’en 1931 la jeune activiste Pagu (Patrícia Galvão, 1910-1962), membre du PCB, approche à Montevideo le grand héros révolutionnaire en exil, celui-ci est encore seul, mais ils luttent déjà pour la même cause. Lorsqu’elle traverse l’URSS, en 1934, pour rejoindre le Paris du Front populaire, elle ignore peut-être qu’il se trouve à Moscou, promu au sein de l’Internationale Communiste où il rencontre l’agente allemande Olga Benario (1908-1942). Lorsqu’elle regagne le Brésil au temps de l'ANL, en 1935, Prestes et sa compagne un peu spéciale viennent d’y débarquer eux-mêmes clandestinement pour fomenter une insurrection. Celle-ci échoue et déclenche une répression massive qui les emportera tous trois, début 1936, dans les geôles de la police politique… L’une avait dabord manqué d’être remise à l’Allemagne nazie par la police de Laval, comme militante communiste étrangère, rapatriée qu’elle fut par un ambassadeur humaniste ; l’autre, juive, fut enfin livrée à la Gestapo par la police de Vargas, et gazée.
Deux tempéraments féminins dans l’histoire, deux mères séparées de leur enfant, deux martyres de la cause révolutionnaire prises dans les filets du fascisme international, deux destins fracassés, enfin, qui furent un lendemain chantant bien cruellement après la promesse, justement, du « roman prolétaire » lancé par Pagu en 1933, Parc industriel, à paraître au Temps des Cerises.
On peut donc lire, en attendant, le grand récit du journaliste Fernando Morais, Olga, paru en 1985 au Brésil, traduit en français en 1990 et tout récemment revu et réédité :

Fernando Morais
Olga
Allemande, Juive, Révolutionnaire
Trad. du portugais (Brésil)
d’Antoine Albuca,
revue, préfacée et annotée
par Gérard Siary
Chandeigne, « Bibliothèque Lusitane »,
janvier 2015, 454p., 22€

Une étoile filante…
Fille de la bourgeoisie juive allemande, Olga Benario déploie une volonté inouïe pour devenir la militante la plus dynamique des Jeunesses Communistes dans le Berlin des années Vingt. Ensuite, agente de la IIIe Internationale à Moscou, rompue à l’exercice des armes, la voilà chargée d’escorter au Brésil le militant Luís Carlos Prestes, légende en son pays, pour faire tomber la dictature du président Getúlio Vargas. Olga et Prestes tombent amoureux.
Las, l’échec de la révolte de novembre 1935, à Rio de Janeiro, jette les deux amants en prison. Olga est alors enceinte de l’enfant conçu au Brésil avec Prestes. La loi du Brésil interdit de l’extrader. Mais le pouvoir livre Olga, juive et communiste, à l’Allemagne nazie. Déportée à Ravensbrück, enfermée au bloc juif, elle sera gazée. Cette révolutionnaire impavide, ni brisée ni bridée, n’aura eu de cesse, en sa courte vie, d’œuvrer au triomphe de son idéal. Un modèle héroïque au féminin, oui, mais aussi, simplement, un être humain enjoué, disponible, passionné, vaillant…
Avec ce récit politique haletant qu’il a mis cinq ans à écrire, Fernando Morais, grand journaliste, ne nous conte pas seulement le destin fulgurant d’une pasionaria brésilienne. Il nous plonge surtout dans l’histoire fascinante, aux ramifications internationales, qui se joue entre la Russie, l’Europe et les Amériques du sud des années Trente.
[4e de couverture]


N.B. : Fernando Morais (qui est aussi le biographe de Paulo Coelho, que voulez-vous), sera parmi les 48 auteurs brésiliens invités au Salon du Livre de Paris (20-23 mars) dans le cadre de la programmation « Le Brésil à l’honneur ».

19 février 2015

La critique d’avant-hier soir / Lancement Pagu (17)

Pagu et son Parc industriel
par AD

Pagu a écrit un livre prolétaire. Elle lui a donné pour nom Parc industriel et l’a signé Mara Lobo.
Mais qui est Pagu ? Ceux qui la connaissent ainsi que les chroniques de la ville disent que Pagu est le type de femme le plus intéressant que le Brésil ait produit. Belle, intelligente, libre de tout préjugé, elle est apparue, un jour, au sein de l’anthropophagisme de São Paulo, à côté d’Oswald de Andrade, en signant des vers modernistes compliqués. De là, elle s’est élevée. Et son nom a résonné à travers le pays, à présent déjà dans les chroniques policières, pour le peu de cas qu’elle faisait justement de la police…
Pagu vue par Taba
Visitant un jour São Paulo, et passant par le Largo da Sé, je fus témoin d’un horrible vacarme qui venait de l’un des immeubles, suivi de bris de vitres, de coups de feu, d’agents de la circulation et d’une foule accourant de toutes parts. Que se passe-t-il, qu’est-ce donc, et tout fut éclairci. C’était Pagu qui affrontait, révolver au poing, une centaine d’étudiants qui venaient lui demander réparation pour certaine note attentatoire au lustre des jeunes gens. Nous nous enquîmes du journal, que nous supposions être un organe de prestige, et l’on nous montra une feuille de chou pratiquement ronéotypée…
Mais Pagu, en peu de temps, devint célèbre. Garcia de Rezende raconte également une curieuse anecdote survenue dans certain théâtre, lorsque Pagu fut annoncée pour dire un poème de sa composition. Un trépignement unanime l’accueillit. Imperturbable, dans cette figure de statue grecque brunie, elle attendit que cesse le vacarme. Un, deux, trois, cinq minutes. Enfin, il cessa. Et elle commença son poème. Plus ou moins comme cela :

                              Velas

          Segunda-feira, primeira vela,
          terça-feira, segunda vela,
          quarta-feira, terceira vela…

À ce stade l’on n’entendait plus rien. Le théâtre semblait s’effondrer. Les sifflets perturbaient le voisinage huit pâtés de maisons alentour. Et Pagu, sur la scène, sereine… Il n’est pas de mal qui n’ait de fin, comme dit le proverbe. Et quand cette tempête passa elle aussi, elle continua, déjà peu audible :

          Quinta-feira, quarta vela,
          sexta-feira, quinta vela,
          sábado, sexta vela,
          domingo — uma vela de presente.

Tel était le poème moderniste-anthropophagique de Pagu…
Enfin, un jour, après la Révolution victorieuse de 1930, Pagu disparut. Où elle se trouvait, par où elle transitait, peu savaient le dire. Et celui qui le savait expliquait seulement qu’elle était à l’étranger, qu’elle était communiste… et c’est tout.
Communiste, Pagu ! Avec ce génie et ces manies, Pagu devait forcément être communiste. Parce que nous ne le serons pas dans l’absolu, nous, qui versifions encore des sonnets et rêvons de trônes. Parce que nous serons absolument nous-mêmes, nous qui n’avons pas le sang de Pagu.
À cette phrase, le lecteur le plus réel et bourgeois écarquillera les yeux. Je le vois déjà.
— Pourquoi ? Mon Dieu, elle !...
— Oui. Il n’y a que nous, parasites de sang de cafard, qui serons capables de voir ce que Pagu a vu et de rester muets. Elle, non. Elle a vu et a parlé. A crié. A hurlé. S’est battue comme une lionne pour la cause. Elle qui pouvait, par sa beauté, conquérir les millionnaires, préféra conquérir les misérables. Elle qui pouvait vivre dans le luxe, préféra vivre simplement. Elle qui pouvait s’habiller de soie, porte un modeste vêtement de zéphyr.
Pagu fume. Marche comme un homme, le pas ferme. Et dit les gros mots que disent les hommes. C’est un type original, en somme, que cette Pagu.
Eh bien c’est ce type original, cette Pagu, qui a publié sous le nom de Mara Lobo (pourquoi ?) ce roman prolétaire qui s’appelle Parc industriel.
En aucun cas ça n’est un sujet pour demoiselles. On pourrait même dire qu’il est impropre aux enfants et aux jeunes filles. Et certains passages, par le réalisme qu’ils contiennent, aux personnes impressionnables…
À ce stade on peut calculer ce qui ne se trouve pas dans ce premier roman. Toutefois, tel qu’il est, qu’on ne le juge pas exclusivement tel… C’est, en premier lieu, un roman réel. Et, étant réel, il ne pouvait manquer de contenir ce qu’il contient. Mais aucun autre n’a raconté mieux que lui, jusqu’à présent, la tragédie ouvrière. Toute. Tout entière. Intégrale. Sans fioritures ni poésie bourgeoise.
Pagu a marqué un point avec Parc industriel.
Et elle en marquera d’autres à chaque fois qu’elle publiera une œuvre du genre.
Et, à la fin de la partie, elle l’emportera dix à zéro sur l’adversaire.
Vous en doutez ? Mais oui…

(AD, « Pagu e o seu Parque industrial »,
O Malho, Rio de Janeiro, 15 avril 1933, p. 6.)

Dans le texte : ill. et légende originales.


À paraître :
Patrícia Galvão (Pagu)
Parc industriel
(roman prolétaire)
Inédit en français
Prologue de Liliane Giraudon
Le Temps des Cerises
mars 2015

18 février 2015

Dans les archives de la police politique / Lancement Pagu (16)

São Paulo, 23 janvier 1936, au soir : Patrícia Galvão (1910-1962), dite Pagu, membre du PCB illégal, première femme incarcérée pour raisons politiques au Brésil, dès 1931, et surveillée de plus en plus étroitement par la police politique, le Deops (Departamento de Ordem Política e Social), qui intensifiait alors la traque des activistes communistes au lendemain de l’insurrection manquée (nov. 1935) de Luís Carlos Prestes — Pagu, lasse, est enfin appréhendée « en flagrant délit d’action extrémiste » (comme le rapporte la presse), c’est-à-dire apparemment sur le point de transmettre du matériel de propagande, en pleine rue, lors d’un rendez-vous clandestin.
Ce n’est pas sa première arrestation, mais ce coup de filet augure de sa mise à l’ombre pour un certain temps : inculpée de crime politique, relaxée par la Justice Fédérale de São Paulo (faute de preuves concluantes) puis condamnée plus sûrement à deux ans et demi de prison par le Tribunal Militaire de Rio, elle s’évade en octobre 1937 pour quelques mois, à la faveur d’une hospitalisation, s’engage dans un groupe trotskiste dissident, et se voit nouvellement arrêtée en avril 1938 et condamnée à deux ans par le Tribunal de Segurança Nacional. De 25 à 30 ans, près de cinq années, cavale comprise, dans les geôles d’une sombre dictature. Victime, parmi bien d’autres, de ces années de terreur dans le Brésil de Vargas.

Le procès-verbal de son interrogatoire, le jour-même à la Surintendance de l’Ordre Politique et Social, jette une lumière crue sur ce que pouvait être alors le quotidien d’un militant poussé à la clandestinité, comme sur l’humeur politique de Pagu, en consignant…

que depuis l’année 1930 la déclarante sympathise avec le communisme, parce qu’elle voit des injustices dans le régime présent et que seul le Parti Communiste peut y apporter une solution, en installant la dictature du prolétariat dans un premier temps, pour ensuite établir le régime communiste ; que, si la déclarante en ayant l’occasion, elle a l’intention de prêter main forte, la déclarante se refuse à déclarer si elle aidera ou non la lutte révolutionnaire ; que la déclarante a déjà été détenue douze fois, plus ou moins, toujours sans aucune preuve ; que la déclarante a été arrêtée une fois à Santos durant un meeting du « Secours Rouge », Herculano de Souza étant mort à cette occasion ; que la déclarante, quant au matériel trouvé à son domicile, doit informer qu’elle n’en était que dépositaire, toute question à ce sujet étant inutile, parce qu’elle ne sait pas le nom de la personne qui l’a laissé là, ne le connaissant que de vue ; que la déclarante adopte le nom de « Paula » depuis douze ou quinze jours, parce qu’elle savait qu’elle était recherchée par la police ; que la déclarante réside dans la rue susmentionnée [rua Domingos de Morais] depuis douze ou quinze jours, étant donné qu’elle a résidé auparavant dans la maison d’un conducteur de la Light, Rizzieri Mazziotti, vers le Bosque da Saúde, durant huit jours ; que de cette adresse la déclarante est allée résider à Santo Amaro, rue Senador Flaquer, dont elle ne se rappelle plus le numéro, ne faisant qu’y résider ; que la déclarante, contre la volonté du conducteur Rizzieri Mazziotti, a laissé dans sa maison une machine à écrire, avec laquelle elle travaillait sur des traductions et des services particuliers ; que la déclarante a résidé également à la rédaction du journal A Plateia, étant assuré que la machine l’a suivie là également ; que, quant aux papiers stencils trouvés à son domicile aujourd’hui, la déclarante doit également dire qu’ils ne lui appartiennent pas ; que la déclarante est arrivée d’Europe il y a trois mois plus ou moins et que, de passage, elle s’est trouvée en Russie, y ayant perfectionné sa sympathie pour le communisme s’agissant du seul pays où il a été installé ; que, quant au matériel appréhendé aujourd’hui à son domicile, concernant l’« Aliança Nacional Libertadora » et le « Governo Nacional Popular Revolucionário », elle ne peut non plus rien dire, car, comme elle l’a dit, elle en était dépositaire, ne sachant rien à ce sujet. Elle n’a rien dit de plus.

(doc. dactylographié, dossier P. Galvão du Fonds Deops,
Archives Publiques de l’État de São Paulo ;
reproduit dans Viva Pagu : Fotobiografia de Patrícia Galvão,
éd. de Lúcia Maria Teixeira Furlani et Geraldo Galvão Ferraz,
Santos/ São Paulo, Unisanta/ Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2010, p. 156.)

Photo de P. Galvão, fournie par les services de police
et diffusée par la presse en janvier 1936 :
fonds Lúcia Maria Teixeira Furlani / Centro de Estudos Pagu Unisanta.

Trad. A. C.

D'un titre l'autre / Lancement Pagu (15)

São Paulo 1933/1968 : du roman prolétaire à la chronique chantée du tropicalisme, regards sur un « parc industriel »...

Parc industriel
par Tom Zé

Y a qu’à réchauffer                                                                                         [chœur]
Et utiliser,
Y a qu’à réchauffer
Et utiliser,
Parce que c’est made, made, made, made in Brazil.
Parce que c’est made, made, made, made in Brazil, Brazil.

Retouchez le bleu du ciel                                                                               [solo]
Banderoles dans le cortège
Grande fête dans toute la nation.
Faites vos prières au réveil
Le progrès industriel
Vient nous apporter la rédemption.

Y a des filles de la pub
Des hôtesses de l’air et de la tendresse à l’affiche,
Suffit de regarder au mur,
Et ma joie
Se retape tout d’un coup
Car nous avons le sourire en bouteille
C’est déjà prêt et homologué.

Y a qu’à réchauffer
Et utiliser,
Y a qu’à réchauffer
Et utiliser,
Parce que c’est made, made, made, made in Brazil.
Parce que c’est made, made, made, made in Brazil, Brazil.

Retouchez le bleu du ciel
Banderoles dans le cortège
Grande fête dans toute la nation.
Faites vos prières au réveil
Le progrès industriel
Vient nous apporter la rédemption.

La revue moraliste
Dresse la liste des péchés de la vedette
Allons voir
Et y a un journal populaire qu’on
Ne presse jamais
Parce qu’il peut dégouliner.
C’est une banque de sang sous reliure
C’est déjà prêt et homologué,

Y a qu’à feuilleter
Et utiliser,
Y a qu’à feuilleter
Et utiliser,
Parce que c’est made, made, made, made in Brazil.
Parce que c’est made, made, made, made in Brazil, made in Bra-a-a-a-a-, Brazil.

(texte de « Parque industrial »chanson écrite,
composée et interprétée par Tom Zé avec Os Versáteis
en face B du LP Grande liquidação, Rozenblit, 1968
[rééd. CD chez Mr Bongo])

Trad. A. C.



Titre (et album) en écoute libre sur le site du label Mr Bongo.

16 février 2015

Le Carnaval d’avant-hier soir / Lancement Pagu (14)

Pagu Face B
l’égérie oubliée du Carnaval de 1930 !

Pour l’ami Augusto Massi,
éditeur scrupuleux
de Poesia completa de Raul Bopp.

Février 1932. Otávia, la prolétaire militante, quitte la Colonie de prisonniers politiques de Dois Rios, après six mois de déportation pour agitation syndicale. « La deuxième classe du train de nuit qui la reconduit à São Paulo apporte aussi les derniers sambas de Rio de Janeiro. Les préoccupations de la lutte sociale ont déjà envahi la chanson populaire./ — Tournons !/ — Tournons !/ Ce samba/ Va finir en prison. » Et pourtant, en cette saison où le Carnaval de Rio a été officialisé, « il y a eu du champagne à gogo au [Théâtre] Municipal » mais « bien des gens sont tombés dans la rue, de faim ». En dénonçant une liesse nationale qui « étouffe et trompe la révolte des exploités », dans Parque industrial (1933), Patrícia Galvão fait aussi le procès de qui elle fut : un produit, somme toute, de l’industrie du divertissement. C’est Mara Lobo, qui signe, et qui se retourne contre Pagu, laquelle avait été non seulement « l’annonce lumineuse de l’Anthropophagie », côté avant-garde mondaine, mais aussi, côté culture de masse, un thème éphémère de la chanson populaire… C’est ce qu’il convient d’établir.

« Pagu » naît à la lettre en 1928, femme-concept inventée par des hommes, figure de cette élite culturelle qui assure le spectacle, photos à l’appui, dans les pages des magazines, lorsque Raul Bopp, membre du groupe de la Revista de Antropofagia, publie en forme d’hommage le poème « Coco de Pagu » dans la revue grand public Para Todos (Rio de Janeiro, n°515, 27 octobre 1928), avec un portrait (supposément) de l’intéressée par Di Cavalcanti (dédicataire du poème). Sensation et notoriété soudaine : « Bopp a fait un poème pour elle. Et le Brésil a connu Pagu. […] Quand on voit Pagu, on se répète pour soi ce que Bopp a écrit », notait Clovis de Gusmão (Para Todos, n°555, 3 août 1929). En se donnant des airs folkloriques, par référence au coco (une danse traditionnelle du Nordeste, ou bien le chant qui s’en détache), le texte célébrait rien de moins quune beauté fatale — ici dans une version française sans grâce particulière :

Pagu a des yeux doux
Para Todos (27 oct. 1928)
Des yeux de je-ne-sais-quoi
Quand on est près d’eux
L’âme se met à souffrir.

Aïe Pagu eh
On souffre parce que c’est
[bon de faire souffrir

Pagu ! Pagu !
Je ne sais pas ce que tu as.
Qu’on le veuille ou non,
On te veut du bien.

Eh Pagu eh
On souffre parce que c’est
[bon de faire souffrir

Tu as un corps de serpent
Indolent et tout ondulé,
D’un petit venin délicieux
Qui nous fait souffrir la bouche.

Aïe Pagu eh
On souffre parce que c’est
[bon de faire souffrir

Je te veux pour moi.
Je ne sais pas si tu veux de moi.
Si tu veux aller bien loin
J’irai là où tu veux.

Eh Pagu eh
On souffre parce que c’est bon de faire souffrir

Mais si tu veux être tout près
Vraiment tout près d’ici
Alors… tu peux venir
Aïe… ti ti ti, ri ri ri… ih…

Eh Pagu eh
On souffre parce que c’est bon de faire souffrir

Le poème fit son petit bout de chemin, comme une réclame, avant d’être recueilli par Bopp dans Urucungo (poemas negros) (1932), plus tard remanié et retitré simplement « Coco ». D’abord repris dans Maracajá (suppl. littéraire de O Povo de Fortaleza, 7 avril 1929), puis dans A Manhã de Rio de Janeiro (11 août 1929), il fut aussi porté sur la scène par sa muse même. Car la belle et jeune Pagu, en effet, tout juste sortie de l’École Normale d’institutrices, et non sans s’être classée dans un « Concurso Fotogênico de Beleza Feminina e Varonil » promu par la Fox en 1927, se faisait alors connaître dans le sillage du groupe anthropophage comme déclamatrice de poésie moderniste, donnant des pièces de sa composition, des poèmes de son amant et prochain époux, l’anthropophage en chef Oswald de Andrade, et de Raul Bopp, dont ce « Coco de Pagu », donc, qu’elle interpréta notamment lors d’une réception au Teatro Municipal de São Paulo le 5 juin 1929, à la faveur d’une prestation devant une audience houleuse, et remarquée par la presse — « révélant, rapporte un journaliste, des beautés cachées dans le poème de Raul Bopp », ce dernier se souvenant (en 1966) d’une Pagu « ajoutant aux vers qu’elle disait de légères doses de malice »…

Tout cela est connu, depuis que l’histoire du mouvement moderniste est écrite par le menu (ou presque), et depuis que l’on s’est penché de près sur la biographie de Pagu. Mais ce nest pas tout. Ce que l’on sait moins, c’est que par le truchement du poème de Bopp, Pagu devait atteindre jusqu’à la chanson populaire, et ce dans le contexte carnavalesque. Une autre beauté du moment, Laura Suarez (1909-1990), Miss Ipanema 1929, compositrice et interprète, actrice au théâtre, bientôt au cinéma et plus tard à la télévision, se trouva composer, dans le genre toada, une chanson sur le poème de Bopp, qu’elle donna par exemple lors d’un récital au Teatro Lyrico de Rio le 19 juillet 1929. Elle lança bientôt, début 1930, son premier 78t. (disque Brunswick n°10.015) : des deux toadas qu’elle y chantait, accompagnée par les guitares du Conjunto Típico Brasileiro Bomfiglio, l’une, en face B, n’était autre que sa mise en musique de « Coco de Pagu ». Le titre fut diffusé les 15 et 22 janvier et 12 février 1930, au soir, sur les ondes de la Radio Sociedade Record (São Paulo), dans le programme « Hora Brunswick ». L’enregistrement fut salué dans les colonnes dO Malho (Rio, 8 février 1930), dans celles du Correio da Manhã (Rio, 9 février), avant quoi la revue Phono-Arte du 30 janvier 1930 (ci-contre) avait donné la transcription du texte « sur écoute du disque » (Bopp n’y étant semble-t-il pas crédité), en classant la chanson (peut-être pas la mieux indiquée) parmi les possibles succès du Carnaval de 1930

(Autant que l’on sache, il n’en fut rien. Cette année-là, les succès du Carnaval furent plutôt deux marchinhas devenues autrement des standards : celle qu’enregistra la grande débutante Carmen Miranda, Pra você gostar de mim, une composition de Joubert de Carvalho arrangée par Pixinguinha ; et celle d’Ary Barroso, Dá nela, triste incitation à l’agression phallocrate, qui résonne à ce titre dans le premier roman de Jorge Amado, O País do Carnaval (1931), où elle se trouve mise en application — comme dans celui de Pagu, Parque industrial (1933), mais pour y être retournée en un geste d’émancipation féminine par l’égérie frustrée de 1930, devenue Mara Lobo…)

De coco en toada, et en plein Carnaval 2015, redécouvrons donc cette archive confidentielle, ici révélée en exclusivité :




N. B. : « Coco de Pagu » fut également interprété, dans leurs propres compositions, vers 1935 par une certaine Leticia de Figueiredo (encore à découvrir), et bien plus récemment par Beatriz Azevedo (sur le CD Alegria, en écoute ici.)

(L’identité entre le poème de Bopp et la composition de Laura Suarez n’aurait pu être confirmée sans le matériel sonore généreusement communiqué -et ici mal reporté- par le journaliste Marcelo Bonavides, auteur du blog Estrelas que nunca se apagam. Qu’il en soit chaleureusement remercié. A. C.)