29 octobre 2016

GRAND JEU-CONCOURS

Le poète guatémaltèque s’est caché dans cette photographie.

L’Éditeur qui saura le retrouver gagnera le droit de l’imprimer.

(S’adresser au traducteur.)


(Attention : un autre poète guatémaltèque — par ailleurs prix Nobel de littérature 1967 — s’est introduit dans ce cliché. Ce n’est pas lui, bien entendu, qui réclame publication.)


1er indice (01/11) : Le poète guatémaltèque n’est pas assis au premier rang.

2e indice (04/11) : Le poète guatémaltèque n’a pas de problèmes de calvitie.

3e indice (12/11) : Le poète guatémaltèque n’a pas peur de regarder l’objectif en face.

4e indice (25/01/17) : Le poète guatémaltèque ne porte pas la moustache.

Import-export

Puisque l’on s’obstine à ne pas vouloir lire Oswald de Andrade en français, lisons-le en espagnol !


Tarde de lluvia

Llueve, lluvia, está lloviendo
que la ciudad de mi bien
estáse toda lavando.

Señor,
que yo no quede nunca
como ese viejo inglés
ahí del lado,
que duerme en una silla
esperando visitas que no vienen.

Llueve, lluvia, está lloviendo,
que los jardines de mi bien
estánse todos limpiando.

La lluvia cae,
cae de bruces,
la magnolia abre su paraguas
parasol de la ciudad
de Mario de Andrade ;
la lluvia cae,
escurren las goteras del domingo.

Llueve, lluvia, está lloviendo,
que la casa de mi bien
estáse toda mojando.

Anochece sobre los jardines.
Jardín de Luz.
Jardín de la plaza de la República,
jardín de los platanares.

Noche.
Noche de Hotel.
Llueve, lluvia. Está lloviendo.

Oswald de Andrade


Il s’agit du fameux « Soidão » (« Chove chuva choverando… ») publié dans le deuxième recueil de l’auteur, Primeiro caderno do aluno de poesia Oswald de Andrade (couverture de Tarsila do Amaral, illustrations de l’auteur, São Paulo, s. n., 1927, tiré à 300 exemplaires). Oswald de Andrade y exploitait le filon de la poésie naïve, après Pau Brasil (1925).

La présente version espagnole est due au poète péruvien Alberto Guillén (1897-1935), qui l’inséra dans sa riche anthologie de poésie latino-américaine contemporaine, publiée en Espagne : Poetas jóvenes de América (Exposición) (Madrid, M. Aguilar, 1930, 289p. ; p.62-63 pour le texte cité). Anthologie de poésie latino-américaine, en effet, puisque à côté des 210 poètes de langue espagnole, venus d’Argentine, de Bolivie, de Colombie, de Cuba, d’Amérique centrale, du Chili, d’Équateur, du Mexique, du Pérou, de Porto Rico, d’Uruguay et du Venezuela, y figuraient 18 poètes brésiliens, dont plusieurs associés comme Oswald de Andrade au courant moderniste (Ronald de Carvalho, Guilherme de Almeida, Manuel Bandeira — mais pas Mário de Andrade, Carlos Drummond de Andrade, Luis Aranha, Sérgio Milliet…).

Le fait est assez exceptionnel pour être signalé. Pendant les années 1920, en effet, rares et précaires furent les relations entre le modernisme brésilien et les divers foyers de l’avant-garde hispano-américaine (eux-mêmes très interactifs). En témoignent les sommaires des nombreuses petites revues indépendantes, publiées dans toutes les capitales culturelles, à tel point qu’il fallait presque s’en remettre à la Revue de l’Amérique latine, de Paris, pour voir se côtoyer, de temps à autre et chacune dans leur rubrique encore, les nouvelles générations latino-américaines.

Alberto Guillén, lui, aura voulu « les convaincre d’être tous frères en un même sang bleu d’Amérique », en un concert dont « toutes les notes, parfois contradictoires, parfois stridentes, parfois imprévues, musicales toujours, toujours sincères, forment, de leur stupéfiant contrepoint, la voix robuste, neuve et totale de notre Amérique » (propos tirés de la préface).

27 octobre 2016

Bis repetita placent

Où il s’agit encore de définir la bonne et vraie poésie moderne française, question compliquée par des problématiques d’import-export… avec la suite des aventures du triste Marius André (1868-1927), poète provençal, félibre mistralien puis journaliste maurrassien, critique hispanisant et traducteur, inlassable défenseur d’une latinité sans cesse menacée de sabotage par les agents du « bolchevisme littéraire » et de la « nouveauté ». C’est bien lui, qui signe ici sous pseudonyme.

(Pour les épisodes précédents, voir « La polémique d’avant-hier soir » : 1, 2, 3 et 4.)


Il leur faut du nouveau… — Cette vieille poésie populaire est immortelle. Il y en a une autre, celle de l’an dernier qui est déjà vieille à Paris, mais qui est la grande nouveauté aux yeux de certains étrangers qui continuent de prendre le défunt dadaïsme au sérieux. Il y a « la Poésie sans logique, langage de l’inconscient », savamment étudiée dans Inicial « revue de la nouvelle génération » (mars) par le directeur de Manomètre de Lyon. Aux jeunes poètes argentins qui l’ignoreraient encore, il apprend ceci :

Rimbaud affirmait : l’A est noir, l’E blanc, l’U vert, l’O bleu. René Ghil répliquait : l’U n’est pas vert, il est jaune. A noir, E blanc, I bleu, O rouge, U jaune. Rimbaud ne voyait pas plus mal que René Ghil. Il sentait en une forme différente : voilà tout le mystère.

C’est très amusant de lire ces vieilleries rajeunies en espagnol dans une revue nouvelle élégamment présentée. Il y a longtemps que le « mystère » du sonnet des Voyelles a été éclairci par son auteur même qui a avoué que c’est une de ses folies et fumisteries. Rimbaud dégoûté a écrit dans sa Saison en enfer des phrases qu’on ne saurait trop recommander aux hispano-Américains qui veulent « faire du Rimbaud » en espagnol.

L’histoire d’une de mes folies… J’aimais les peintures idiotes… J’inventai la couleur des voyelles !... Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible un jour ou l’autre à tous les sens… J’expliquai mes sophismes magiques avec l’hallucination des mots… Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit… Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu’on enferme, — n’a été oublié par moi.

C’est aussi très amusant de lire dans la Revista do Brasil (mars), cités en français, des « poèmes » d’un des « maîtres » de la nouvelle génération :

Les catapultes du soleil assiègent les tropiques irascibles
Riche Péruvien propriétaire d’une exploitation de guano d’Angamos
On lance l’Acaragnan Bananan
À l’ombre
Les mulâtres hospitaliers
L’oiseau secrétaire est un éblouissement
Belles dames plantureuses
On boit des boissons glacées sur la terrasse
Un torpilleur brûle comme un cigare
Une partie de polo dans le champ d’ananas
Et les palétuviers éventent les jeunes filles studieuses
My gun
Coup de feu
Un observatoire au flanc du volcan
De gros serpents dans la rivière desséchée
Haie de cactus
Un âne claironne la queue en l’air
La petite indienne qui louche veut se rendre à Buenos Aires.

Il y en a des pages, comme ça. M. Mario de Andrade, qui révèle cette poésie nouvelle aux Brésiliens, trouve qu’elle est cosmique, ample, palpitante, qu’elle réalise une correspondance exacte entre l’expression formelle et le lyrisme pur, à laquelle se lie, par l’effort de l’attention, l’équilibre entre la manifestation subconsciente et la conscience.

Le poète que M. de Andrade cite, commente et glorifie, est M. Blaise Cendrars. On lit dans le même numéro de la Revista do Brasil :

Il y a plusieurs semaines que se trouve parmi nous le poète Blaise Cendrars. Tous ceux qui se préoccupent du mouvement de la poésie moderne connaissent bien sa forte et originale personnalité…
…Saluons-le dans son météorique passage par ce 23°36’ de latitude et 3°27’ de longitude qu’est São Paulo.


Andrés Montserrat,
« La vie en Amérique latine/ Revues et journaux de l’Amérique latine » (extrait),
Revue de l’Amérique latine (Paris),
3e année, vol. vii, n°30, juin 1924, p. 562-563.


On trouvera l’article incriminé de Mário de Andrade (entièrement consacré à Cendrars), traduit en français, dans le volume L’Esclave qui n’est pas Isaura & autres textes critiques (Anthologie, 1921-1942), actuellement en préparation.

25 octobre 2016

Un document

Pour fêter à sa manière la toute récente réédition du roman Macounaïma de Mário de Andrade, repris aux éditions Cambourakis dans la traduction de Jacques Thiériot (1979), le blog Bois Brésil & Cie donne ici-même un document de toute rareté : un article d’époque, publié dans la presse française, sur le romancier brésilien.

Macunaíma (1928) n’obtint à sa parution, sauf erreur, aucun compte rendu en français, même dans les revues spécialisées et au fait de la production littéraire latino-américaine. En revanche, le premier roman de Mário de Andrade, Amar, verbo intransitivo (1927), non moins scandaleux et inventif, fit l’objet d’une recension circonstanciée, signée par l’un des quelques brésilianistes alors en activité, le critique (et traducteur) Manoel Gahisto, dans l’importante Revue de l’Amérique latine (qui ne fut pas toujours aussi avisée dans ses choix, loin s’en faut).

L’ampleur de l’article, assez exceptionnellement déplacé de la section dévolue dans cette revue aux chroniques de livres, témoigne à sa façon circonspecte, avec le ton de l’époque, les références et les réserves d’un spécialiste que ses goûts ne portaient certes pas à la pointe de la création d’avant-garde — témoigne, donc, d’une belle et juste inquiétude critique face à un bouleversement définitif du canon littéraire local, compris comme l’entrée de la prose brésilienne dans l’histoire mondiale du genre romanesque. Un augure que la publication de Macunaíma allait aussitôt confirmer, même si l’un comme l’autre romans ne furent traduits que bien plus tard.

Ainsi que Macounaïma qui reparaît cet automne, ce roman se trouve être disponible en français (Aimer, verbe intransitif, traduit par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, préface de Clélia Piza, Gallimard, coll. « Du monde entier », 1995).

Qu’on se le dise, & qu’on lise !


L’évolution du genre romanesque — Mário de Andrade
par Manoel Gahisto

Dans son récent recueil d’études critiques, Rodapés (1), consacré à différents livres d’hier, dont les auteurs seront à divers titres des personnalités de demain, M. Sud Mennucci écrivait : « Le Brésil a toujours été un pays pauvre en conteurs. Une demi douzaine d’écrivains de la génération d’hier ont fréquenté, et encore, incidemment pour certains, le domaine difficile du conte. » Après avoir cité les grands noms de Machado de Assis, Coelho Netto, Medeiros e Albuquerque, et quelques autres de la même époque, il dénombrait aisément les prosateurs qui, les suivant de près, sont allés à la documentation régionaliste, d’Alcides Maya et Rodolfo Theophilo à Monteiro Lobato ou Cornelio Pires. Puis, devançant les comptes-rendus épars qui inscrivent ici de nouveaux noms, il marquait d’une plume alerte la place de jeunes écrivains comme Amadeu Amaral ou Gastao Cruls. C’était montrer que la liste des conteurs est bien loin d’être close. Et, comme si cette remarque avait stimulé des initiatives latentes, avant même que M. Sud Mennucci n’ait eu l’occasion de le définir comme poète aux côtés des Graco Silveira, Gustavo Teixeira ou Rodrigue de Abreu, voici que M. Mario de Andrade apporte son appoint au récit en prose avec Amar, verbo intransitivo (2).

Partisan des formes les plus inédites, Champion des modes prosodiques les plus avancées, Mario de Andrade s’annonçait plutôt, si j’ose m’exprimer ainsi, comme un poète de longue carrière, non seulement par ses œuvres elles-mêmes, mais aussi par ses déclarations et professions de foi. Paulicea Desvairada, en 1923 [sic], lui valait un de ces succès d’avant-garde qui engagent quelquefois toute une vie. Un rapide croquis d’ensemble du mouvement poétique au Brésil, A Arte moderna, brossé par M. Joaquim Inojosa en 1925, qui représente très bien le développement de ces innovations sous l’influence idéologique de M. Graça Aranha, avec l’appui de Ronald de Carvalho, Tristao de Athayde, dépeint Mario de Andrade comme « révolté, révolutionnaire, iconoclaste et constructeur en même temps puisque, sur les ruines de ce qu’il détruit, il bâtit son œuvre ». De Sao Paulo, du Rio Grande, la poussée irradiait en tous sens, passant par Recife où la représentaient également, parmi d’autres, Raul Machado, Anysio Galvao, pour rebondir vers Parahyba do Norte. La liste croissante des poètes conquis à l’esthétique nouvelle et ultra-libérée devient presque impossible à faire sans omission, ceci contrairement à ce qu’il en est des conteurs.

Toutefois, le jeune écrivain n’a pas adopté sans indépendance les procédés narratifs en usage. Amar, verbo intransitivo a comme sous-titre le mot « idylle » et ne porte pas l’étiquette « roman ». C’est une idylle dont l’héroïne apparaît dès les premières lignes sous les traits d’une demoiselle fort décente que Sousa Costa vient d’engager comme gouvernante de ses enfants. Quelle clause de son contrat veut-elle faire préciser à la mère de famille en ces termes : « Excusez mon insistance. Il faut la prévenir. Il ne me plairait pas d’être prise pour une aventurière, je suis sérieuse. Et j’ai trente-cinq ans, senhor. Assurément, je n’irai pas si votre femme ne sait ce que je dois faire là-bas. J’ai la profession qu’une faiblesse m’a permis d’exercer. Ni plus, ni moins. C’est une profession. » On voit dès lors la nouvelle institutrice auprès de ses élèves, bambin et fillette espiègles auxquels il faut apprendre la musique, l’allemand, et l’on découvre les résultats de sa patience : Carlos, fils aîné des Sousa Costa, âgé de seize ans, renonce bien vite aux sports, aux sorties avec ses camarades pour témoigner un zèle extrême dans l’étude de l’allemand et faire des progrès en musique. La maman alarmée court un beau jour annoncer à son mari qu’elle vient de donner congé à la demoiselle, et ceci amène entre les trois personnages une explication remplie d’imprévu :

« Je m’excuse, dit Sousa Costa. Je suis tellement accaparé par mes affaires ! De plus c’est une chose si minime ! Laura, sachez que Fraulein a mon consentement. Vous savez bien qu’aujourd’hui, ces petits jeunes gens… c’est si dangereux ! Ils peuvent tomber aux mains de quelque exploiteuse ! La ville est une invasion d’aventurières à présent ! Jamais on n’a vu ça ! JAMAIS !... Par suite, débuter est périlleux. Vous me comprendrez : une personne spéciale évite beaucoup de choses. Et des vilaines ! Non seulement la boisson ! A présent il n’y a pas une fille perdue qui ne soit éthéromane, qui n’use de morphine… Et les garçons imitent ! Viennent les maladies !... Vous ne pouvez le savoir ici… c’est une horreur ! En peu de temps Carlos serait syphilitique ou pareil ! Une perdition ! Je te le dis, Laura, une perdition ! Mon devoir, comprenez-vous est de sauver notre fils… C’est pourquoi Fraulein prépare le jeune homme. Et nous évitions peut-être un désastre !... »

Dona Laura est émerveillée, d’autant mieux que pour achever de raccommoder les choses, l’intéressée, la voix mouillée de larmes, met son rôle au point sous un autre jour : « L’amour n’est pas seulement ce qu’en pense M. Sousa Costa. Je suis venue enseigner l’amour comme il doit être. Voilà ce que je prétends que je prétendais enseigner à Carlos. L’amour sincère, élevé, plein de sens pratique, sans extravagances. Aujourd’hui, Madame, c’est devenu nécessaire depuis que la philosophie a envahi les terres de l’amour. Tout devient pessimisme dans la société d’à présent ! On en revient de plus en plus à la vie animale. Par l’influence indirecte ou non de Schopenhauer, de Nietzsche… Malgré qu’ils soient allemands. L’amour pur, sincère, l’union intelligente de deux personnes, la compréhension mutuelle. C’est un avenir de paix obtenu par le courage d’accepter le présent (Un visage lavé de larmes généreuses. Il faut avoir vu pleurer Fraulein…) Et c’est ce que je suis venue enseigner à votre fils, senhora. Créer un foyer sacré. Où trouve-t-on cela maintenant ? »

Tels sont et le thème de l’idylle, et le ton du récit. Un conteur de plus ? Pas encore. L’histoire comporte ses péripéties normales. Carlito, qui ne se doute de rien, aux prises avec ces troubles que naguère notre Maréchale des Lettres analysa si bien en appelant le tout L’Heure Sexuelle, demande bientôt à la tentatrice la faveur d’aller épeler auprès d’elle l’alphabet de minuit. Et pour lors, l’escalier monté, M. Mario de Andrade expose qu’il a trois raisons de ne pas décrire la scène de l’alcôve. Elles sont d’importance, il en disserte, trois heures et demie sonnent quand il achève de les exposer, Carlito quittant avec précaution la chambre de la maîtresse. « Et l’idylle continue ». Ce qui signifie que l’auteur a juré de nous mener jusqu’au bout de l’aventure sans se servir des artifices vulgaires de la péripétie dramatique, de l’action opportune, des surprises savamment préparées.

Ces digressions constantes, ce débordement systématique des marges sur le corps du texte, ainsi que l’écriture par petites phrases, et la répétition de certaines propositions sur la forme interrogative puis affirmative, ce procédé voulu, en un mot, n’est pas sans péril. On m’en voudrait si j’affirmais que toutes les pages du roman sont entraînantes. Et d’ailleurs, Mario de Andrade oppose çà et là les caractères des deux races : luso-brésilienne et du Midi (Carlos), germanique et du Nord (fraulein), analyse à laquelle nous ne sommes pas préparés. Par contre le sujet inventé, tiré d’une observation narquoise des choses de la vie, des marées de la chair et des lunes du cœur, se développe avec des détours forgés eux-mêmes par une fantaisie narquoise, se corse par un badinage documenté, si bien que le fond et la forme de cet ouvrage ultra-libéré gardent entre eux une harmonie classique malgré tout. Avec le roman de M. Monteiro Lobato O Choque, analysé dernièrement par M. Jean Duriau en cette place, est-ce une étape nouvelle qui se marque pour la prose d’imagination au Brésil ? L’un et l’autre livres, remarquables chacun en son genre, ne permettent guère de réplique et toute imitation que l’on voudrait en faire se dénoncerait d’elle-même. Ce sont là néanmoins deux réalisations de jeunes écrivains qui ouvrent des horizons clairs aux efforts d’à présent, dans le genre littéraire qui permet précisément le maximum de libertés.

Le sujet abordé par Mario de Andrade est d’un intérêt général. Heureux Carlito dont l’initiation est si aimablement patronée ! On le voit interrogeant à voix basse ses bons camarades : « Est-ce que tu as eu déjà une institutrice allemande ? » Certains auteurs américains prêtent plutôt à des françaises le sceptre de la galanterie, et Madame Pommery, roman pauliste de M. Hilario Tacito en est l’un des joyeux exemples. Fantaisies de la fiction qui dans la réalité n’empêchent pas chaque femme soucieuse de se garder, qu’elle soit du Nord ou du Midi, d’être considérée et recherchée pour elle-même, de faire échec à son gré à toutes les généralisations banales. Si quelque comparaison s’impose entre Amar, verbo intransitivo et Jérôme, 60° latitude Nord, c’est assurément pour garantir à l’un la liberté du thème que l’on ne peut refuser à l’autre. Ici, on pourrait épiloguer longuement encore. Le héros de M. Maurice Bedel, esprit fort qui excelle aux paradoxes et jongle avec les comparaisons, affichant une désinvolture que M. Mac Orlan nous faisait goûter naguère, sauve à grand peine sa cérébrale pureté, cependant que celui de M. Mario de Andrade, non sans battements du cœur et sans larmes, suit la route contraire. On a tant de fois reproché aux littératures sud-américaines de n’être que reflets tardifs des modes occidentales, il semblera bien cette fois que la précocité, elles l’ont atteinte, intransitive, discrète, souriante.

(1) et (2) Casa editora Antonio Tisi, São Paulo.


Revue de l’Amérique latine (Paris),
7e année, vol. xv, n°77, mai 1928,
« La vie en Amérique latine/ La vie littéraire : lettres brésiliennes »,
p. 457-460.

Vient de (re)paraître

À force de fuir les étalages par trop encombrés de la rentrée littéraire, on finit par ne point s’aviser de la présence presque clandestine, sur les étalages des primeurs ou dites telles, de quelques produits rafraîchis et non moins neufs, et qui n’ont pas, quant à eux, de date de péremption.

Or voilà que reparaît, en français, l’irremplaçable Macounaïma (le héros sans aucun caractère), roman ou plutôt « rhapsodie » de Mário de Andrade (1893-1945), une figure de tout premier plan de la génération moderniste brésilienne. Pareil ouvrage n’aurait jamais dû, en vérité, quitter les rayons de nos librairies qu’il avait mis trop longtemps à intégrer. À l’initiative de son traducteur, Jacques Thiériot, Macunaíma (o herói sem nenhum caráter) (1928) parut d’abord, « traduit du brésilien » et préfacé par l’éminent Haroldo de Campos, en 1979 chez Flammarion, doublement rattaché à la collection « Barroco » (dirigée par Gérard de Cortanze) et à la « Collection Unesco d’œuvres représentatives ». Revu et enrichi d’un glossaire par le traducteur, le texte fut repris en 1997 chez Stock, dans la collection « Archivos » sous l’égide de l’Unesco, de l’association ALLCA XX (Archives de la littérature latino-américaine, des Caraïbes et africaine du XXe siècle) et du CNRS, sous la forme d’une édition critique coordonnée par Pierre Rivas, sans la préface de Haroldo de Campos mais avec des études procurées par les universitaires Telê Porto Ancona Lopez, Rita Olivieri-Godet, Michel Riaudel et Pierre Rivas lui-même, avec chronologie et bibliographie. Délesté de tout cet accompagnement savant (dont on aurait pu, tout de même, retenir quelques idées dans une présentation plus généreuse qu’une simple quatrième de couverture), mais aussi dépouillé du glossaire du traducteur (fort utile, à vrai dire, pour un texte de cette nature), Macounaïma est à nouveau disponible depuis septembre 2016, au format poche aux éditions Cambourakis.

(Fallait-il donc que l’œuvre de Mário de Andrade tombe dans le domaine public pour qu’un éditeur prenne l’initiative de cette republication ? Je ne le crois pas. Et faudra-t-il vraiment attendre cette même circonstance pour que quelqu’un réédite enfin — ou fasse retraduire, pourquoi pas ? — les romans non moins essentiels de l’autre grand moderniste brésilien, Oswald de Andrade (1890-1954), dont existent déjà en français les stupéfiants Memórias sentimentais de João Miramar (1924) et Serafim Grande Ponte (1933), donnés par le même Jacques Thiériot et dans la même collection « Barroco » chez Flammarion, en 1982, au sein du volume Anthropophagies ? Je le crains.)

Réjouissons-nous, pour l’heure et malgré tout, du retour en librairie de Macounaïma, qui n’est pas qu’une grande réussite de lavant-garde de São Paulo, ni même seulement un grand roman de la modernité brésilienne, mais tout simplement un titre incontournable de la littérature mondiale.

Du même auteur, rappelons que le roman Amar, verbo intransitivo (1927) est également lisible en français (Aimer, verbe intransitif, traduit par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, préface de Clélia Piza, Gallimard, coll. « Du monde entier », 1995). Peut-être n’a-t-il pas encore trouvé son public, comme on dit ; du moins est-il resté disponible depuis vingt ans, n’en déplaise aux esprits négligents.

Signalons encore l’existence d’un projet de traduction portant sur un recueil de nouvelles (les Contos novos, annoncés chez Gallimard dès 1995 ! — une autre traductrice s’en inquiète à présent), ainsi que deux volumes en préparation : le recueil fondateur de la poésie moderniste brésilienne, Paulicéia desvairada (1922), et un ensemble de textes théoriques et critiques des années 1920 sur la poésie et l’avant-garde, autour de l’essai A Escrava que não é Isaura (1925).
Les plus curieux pourront, sans attendre, se faire une idée du Mário de Andrade critique en consultant l’important essai qu’il consacra à la poésie de Luís Aranha, traduit dans le volume Cocktails (Poèmes choisis) (trad. d’Antoine Chareyre, Toulon, La Nerthe, 2010).

Qu’on se le dise, & qu’on lise !

23 octobre 2016

La polémique d'avant-hier soir (4 & fin)

Nous recevons la lettre suivante que nous insérons bien volontiers :

Monsieur le Directeur

Je lis dans le N° d’avril de votre revue, p. 379, les lignes suivantes, signées de M. Marius André : « À propos d’un article sur “La Nouvelle génération littéraire française”, de M. Nicolas Beauduin, publié par Nosotros (1er déc. 22), le chroniqueur de La Revue Hebdomadaire (3 mars), s’élève contre l’idée fausse et parfois ridicule du mouvement littéraire en France qu’on trouve dans de nombreuses revues étrangères, etc. » Ceci semblerait indiquer que M. Marius André reproduit ici l’opinion d’un tiers dont il ne ferait qu’approuver les idées. Or, ce chroniqueur de La Revue Hebdomadaire qui « s’élève contre l’idée fausse, etc… » n’est autre que M. Marius André lui-même. Pourquoi cette supercherie ?

Comme la place m’est mesurée ici, je prie les personnes que le débat intéresse de vouloir bien se reporter à La Revue Hebdomadaire du 21 Avril, où je prends la défense des jeunes poètes créateurs de notre époque, ceux que M. Marius André appelle des « bolchevistes littéraires », parce qu’ils ne veulent plus écrire en vers réguliers, et que plusieurs d’entre eux professent, parait-il, des opinions avancées !...

Notez que de leur côté les « révolutionnaires », puisqu’il faut se servir de cette terminologie, pourraient fort bien s’insurger contre moi pour des raisons semblables, en me reprochant d’avoir cité des catholiques et des monarchistes parmi les meilleurs poètes novateurs de ma génération.

Moralité : il ne faut jamais mêler la politique à la Poésie.

Mais c’est l’erreur que M. Marius André s’est empressé de commettre.

Agréez, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments distingués.

Nicolas Beauduin.


Notre collaborateur Marius André, à qui nous avons soumis cette lettre, nous écrit :

Pourquoi je n’ai pas signalé dans ma chronique de la Revue de l’Amérique Latine que l’auteur de l’article paru dans la Revue Hebdomadaire, et que j’analysais, n’était autre que moi ? Mais par un sentiment de modestie naturel qui m’empêchait de proclamer que je me citais moi-même. Il n’y a là nulle supercherie.

Pour le fond du débat, je renvoie, comme M. Beauduin, les lecteurs qu’il intéresse à la Revue Hebdomadaire du 21 avril.


« La vie intellectuelle et artistique en France/ Revues et journaux français »,
Revue de l’Amérique latine (Paris),
2e année, vol. v, n°18, juin 1923, p. 188.

La polémique d'avant-hier soir (3)

Réponse à M. Marius André

Nous avons reçu de M. Nicolas Beauduin, en réponse à un article de M. Marius André, paru ici le 3 mars, une réponse que des circonstances matérielles nous ont seules empêché de publier plus tôt, et que nous nous faisons un devoir d’insérer :

Monsieur le Directeur,

Je lis dans le numéro du 3 mars de la Revue hebdomadaire une chronique de M. Marius André commentant un article de moi, « la Nouvelle génération littéraire », paru dans Nosotros, de Buenos-Ayres (numéro de décembre 1922) ; chronique empreinte d’une mauvaise foi si évidente, que je ne puis la laisser passer sans protester.

Que je fusse ou non, en 1914, « le poète le plus admiré des nouvelles générations, etc. », libre à votre collaborateur de contester ces opinions ou de les admettre. La question n’est pas là. Ce que je n’admets pas, c’est que, m’étant efforcé d’être le plus hautement impartial dans le choix des auteurs cités (exactement cent dix, pris dans la nouvelle génération, à l’exclusion des aînés), votre chroniqueur me fasse le reproche immérité de ne présenter à l’admiration des Hispano-Américains que « des auteurs de second plan, ou médiocres, ou mauvais, des bolchevistes de la littérature et des dadaïstes ». « Entreprise de sabotage », écrit-il, « bourrage de crânes », « littérature d’exportation ».

Or, les romanciers et critiques que j’ai cités vont de François Mauriac à Valery Larbaud, en passant par Jean Giraudoux, Edmond Jaloux, Pierre Hamp, Élie Faure, Marcel Proust, Alexandre Arnoux, Albert Thibaudet, Daniel Halévy, Marcel Coulon, Eugène Montfort, Georges Le Cardonnel, Henri Massis, P. Mac Orlan, Jean Bernier, Gaston Picard, Louis Chadourne, Jean-Richard Bloch, Léon Werth, Julien Benda, Jean-Louis Vaudoyer, Jacques Boulenger, Eugène Marsan, Henri Clouard, Henri Martineau, Jean de Pierrefeu, André Thérive, Albert Erlande, Émile Henriot, André Lamandé, Francis de Miomandre, Gaston Sauvebois, Roger Martin du Gard, Henry de Montherlant, etc.

Quant aux poètes que vise tout particulièrement votre collaborateur, puisqu’il intitule sa chronique la Poésie française à l’étranger, les voici tels que je les ai présentés aux lecteurs de Nosotros :

« O. W. de L. Milosz, cet inspiré des nombres et des symboles ; Charles Vildrac, qui reste pour nous l’auteur ému et harmonieux du livre d’amour ; Jean Royère, pur artiste du verbe ; André Spire et Edmond Fleg, épris de fraternité, de justice et de modernisme ; Léon-Paul Fargue, qui est un précurseur ; Henri Ghéon, dont l’œuvre s’élève et s’épure d’année en année ; l’ironiste Henri Hertz, fils spirituel de Heine et de Laforgue ; Henri Strentz et Jean Paulhan, tous deux si près de notre cœur ; le créationniste V. Huidobro et Paul Dermée, évocateur du surréel ; Louis de Gonzague-Frick, attiré par le subtil et le rare ; Max Jacob, qui, tel le grand Job, reste tourmenté par des puissances adverses ; Paul Valéry, qui réalise l’absolu mallarméen ; Jean Cocteau, amant léger de la rose, prince frivole du palais des illusions, dont les poèmes sont des réussites exquises ; Théo Varlet, qui porte en lui un dualisme obsédant ; Drieu la Rochelle, qui connaît notre ferveur pour son œuvre sincère et forte, voit dans la littérature non un passe-temps, un délassement, mais la manifestation la plus aiguë de la vie et de l’effort moderne ; Fernand Divoire, l’un des constructeurs les plus hautement classiques parmi les poètes d’avant-garde, apporte, avec des tentatives simultanéistes, une contribution de premier ordre au nouveau lyrisme ; Alexandre Mercereau, dont l’œuvre solide et haute est celle d’un penseur lyrique ; Henri Guilbeaux, fougueux et passionné qui, depuis plus de quatre ans, vit ses poèmes ; Marcel Martinet, que la Nuit et les Temps maudits ont classé parmi les lyriques véhéments de notre époque ; Louis Mandin, l’aède des Cités ferventes, apprécié jusqu’ici des seuls initiés ; Paul Morand, la plus surprenante révélation de ces dernières années, le plus vraiment neuf des modernistes ; Blaise Cendrars, personnalité de premier ordre, dont l’avenir a quelque chose d’imprévisible et d’angoissant ; Roger Dévigne, un sage et un fervent ; Marcello Fabri, dont il faut signaler le bel effort ; Pierre Reverdy, pur poète, alchimiste verbal ; P. Albert Birot, dont les étranges réalisations honorent bellement notre époque. Parmi les nouveaux venus, plusieurs ont donné mieux que des promesses : Paul Jamati, Antoine Orliac, avec sa théorie du métabolisme, Paul Husson, Marcel Sauvage, ce chirurgien des roses, Pierre Bourgeois, Marcel Raval, Maurice Martin du Gard, etc. »

« Et, dans un beau verger illusoire qu’ils saccagent parfois, dans l’espoir de floraisons inconnues, voici Louis Aragon, André Breton, P. Éluard et Philippe Soupault, les quatre faces du jeune dieu Dada, autour desquels se groupe déjà toute une fervente et sympathique jeunesse. »

Ainsi, de tous ces poètes nouveaux, dont les meilleurs cherchent à réaliser non un classicisme d’imitation servile, mais un classicisme moderne, fait d’équilibre, d’ordre et de compréhension de notre époque, votre collaborateur ne trouve pour les qualifier (Paul Valéry excepté), que les termes de « bolchevistes de la littérature », réunion d’« impuissants », de « paresseux, de dévoyés, d’assoiffés de publicité » et autres aménités du même genre.

Plusieurs fois, M. Marius André, décidément plus pamphlétaire que chroniqueur, répète ces termes au cours de sa critique. Il insiste même avec passion, mais non sans machiavélisme. Car, sur les cent dix noms d’auteurs que j’ai désignés aux lecteurs de Nosotros comme les plus représentatifs de notre génération, et parmi lesquels figurent des monarchistes, des républicains, des catholiques et des athées, votre collaborateur, à l’exclusion de tous les autres, n’en a retenu, lui, que deux pour les lecteurs de la Revue hebdomadaire, et l’on devine aisément lesquels : Henri Guilbeaux et Marcel Martinet, dont on connaît les opinions révolutionnaires.

C’est ceux-là qu’il cite, ceux-là seuls qu’il commente. Pourquoi ? Parce qu’en ne nommant que ces deux auteurs (sur les cent dix noms de mon palmarès) votre collaborateur croit qu’il lui sera facile de démontrer que tous les tenants de la littérature nouvelle sont, eux aussi, des « bolchevistes », donc forcément des gens sans talent, de mauvais écrivains.

Parlant de Guilbeaux, il écrit : « Personne à Paris, pas même ses amis, n’oserait le traiter de grand poète. Cela ne passerait pas ; mais cela passe à Buenos-Ayres. »

Que votre collaborateur relise le passage de mon article concernant Guilbeaux, il constatera que le terme de grand poète n’a pas été employé par moi. La déformation de mon texte est donc flagrante.

Libre à M. Marius André de rejeter Guilbeaux et Martinet et d’exécrer les quatre faces du jeune dieu Dada, Louis Aragon, André Breton, Paul Éluard et Philippe Soupault, tous quatre Parisiens de Paris. Mais ce dont il n’a pas le droit, c’est de faire croire aux lecteurs de sa chronique que mon étude de Nosotros sur la nouvelle génération littéraire n’a servi qu’à l’apologie de Dada et du bolchevisme littéraire, et n’a été qu’une « véritable offensive menée contre les belles-lettres françaises et contre la France ».

Français ! Français ! M. Marius André pense-t-il que je le soies moins que lui !

Et, puisqu’il place le débat sur le terrain patriotique, je lui dirai que ce n’est pas durant mon séjour dans les tranchées, ni à la Ligue des écrivains combattants que j’ai eu l’honneur de le connaître.

Agréez, monsieur le directeur, l’expression de mes sentiments distingués.

Nicolas Beauduin.


Ma chronique du 3 mars est consacrée exclusivement à « la poésie française à l’étranger », et j’ai pris des exemples dans un article de M. Beauduin en laissant de côté les prosateurs qui n’entraient pas dans le sujet annoncé par mon titre. M. Beauduin se livre donc à une diversion que je ne comprends pas, il sort de la question, en donnant la liste des prosateurs qu’il a cités, parmi lesquels il y en a que j’admire ou que j’estime et quelques-uns qui sont mes amis.

Il y a aussi des écrivains estimables dans sa liste de poètes ; je ne crois pas les avoir offensés en disant qu’ils sont de second plan, c’est-à-dire bons puisque, au-dessous d’eux, je place les médiocres et les mauvais.

C’est de ces derniers que je m’occupe. J’ai dit qu’il y a, à l’étranger, une propagande en faveur des bolchevistes de la littérature (en l’espèce : de la poésie) dont quelques-uns sont aussi des bolchevistes de la politique. C’est un fait qui saute aux yeux de quiconque lit les revues étrangères. Et je trouve des exemples dans l’étude de M. Beauduin qui contient une apologie du « jeune dieu dada » et de ses quatre poètes « autour desquels se groupe déjà une fervente et sympathique jeunesse ».

Il n’a pas employé le terme de grand poète en parlant de Guilbeaux ? En effet, ce n’est pas dans l’article. Mais M. Beauduin a fait bien pis : il a fait d’un mauvais poète condamné à mort pour trahison en temps de guerre l’un des bons poètes de la génération présente qui « s’accorde merveilleusement au rythme vigoureux de la France nouvelle », un poète fervent de vie, sain et sage à la fois comme les autres et, en outre, fougueux et passionné. Ne séparant pas la poésie de la politique de trahison, M. Beauduin a ajouté que « depuis plus de quatre ans », Henri Guilbeaux « vit ses poèmes ».

C’est ce que j’appelle faire, à l’étranger, de la propagande contre les belles-lettres françaises, c’est-à-dire contre la France. L’accusation serait justifiée même si Guilbeaux était le seul des bolchevistes de la poésie et de la politique que M. Beauduin présente à l’admiration des étrangers. Or, il n’est pas le seul.

M. Beauduin a été dans les tranchées pendant la guerre et il ne m’y a pas rencontré ? Cela n’a rien à voir dans le débat, mais puisqu’il emploie un pareil argument, il me force de lui répondre qu’en faisant volontairement, et d’une autre manière, mon devoir contre l’ennemi de la France, j’ai risqué autant que lui — c’est-à-dire ma vie — et perdu bien davantage.

Marius André.

La Revue hebdomadaire (Paris),
32e année, n°16, 21 avril 1923, p. 373-377.