27 octobre 2016

Bis repetita placent

Où il s’agit encore de définir la bonne et vraie poésie moderne française, question compliquée par des problématiques d’import-export… avec la suite des aventures du triste Marius André (1868-1927), poète provençal, félibre mistralien puis journaliste maurrassien, critique hispanisant et traducteur, inlassable défenseur d’une latinité sans cesse menacée de sabotage par les agents du « bolchevisme littéraire » et de la « nouveauté ». C’est bien lui, qui signe ici sous pseudonyme.

(Pour les épisodes précédents, voir « La polémique d’avant-hier soir » : 1, 2, 3 et 4.)


Il leur faut du nouveau… — Cette vieille poésie populaire est immortelle. Il y en a une autre, celle de l’an dernier qui est déjà vieille à Paris, mais qui est la grande nouveauté aux yeux de certains étrangers qui continuent de prendre le défunt dadaïsme au sérieux. Il y a « la Poésie sans logique, langage de l’inconscient », savamment étudiée dans Inicial « revue de la nouvelle génération » (mars) par le directeur de Manomètre de Lyon. Aux jeunes poètes argentins qui l’ignoreraient encore, il apprend ceci :

Rimbaud affirmait : l’A est noir, l’E blanc, l’U vert, l’O bleu. René Ghil répliquait : l’U n’est pas vert, il est jaune. A noir, E blanc, I bleu, O rouge, U jaune. Rimbaud ne voyait pas plus mal que René Ghil. Il sentait en une forme différente : voilà tout le mystère.

C’est très amusant de lire ces vieilleries rajeunies en espagnol dans une revue nouvelle élégamment présentée. Il y a longtemps que le « mystère » du sonnet des Voyelles a été éclairci par son auteur même qui a avoué que c’est une de ses folies et fumisteries. Rimbaud dégoûté a écrit dans sa Saison en enfer des phrases qu’on ne saurait trop recommander aux hispano-Américains qui veulent « faire du Rimbaud » en espagnol.

L’histoire d’une de mes folies… J’aimais les peintures idiotes… J’inventai la couleur des voyelles !... Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible un jour ou l’autre à tous les sens… J’expliquai mes sophismes magiques avec l’hallucination des mots… Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit… Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu’on enferme, — n’a été oublié par moi.

C’est aussi très amusant de lire dans la Revista do Brasil (mars), cités en français, des « poèmes » d’un des « maîtres » de la nouvelle génération :

Les catapultes du soleil assiègent les tropiques irascibles
Riche Péruvien propriétaire d’une exploitation de guano d’Angamos
On lance l’Acaragnan Bananan
À l’ombre
Les mulâtres hospitaliers
L’oiseau secrétaire est un éblouissement
Belles dames plantureuses
On boit des boissons glacées sur la terrasse
Un torpilleur brûle comme un cigare
Une partie de polo dans le champ d’ananas
Et les palétuviers éventent les jeunes filles studieuses
My gun
Coup de feu
Un observatoire au flanc du volcan
De gros serpents dans la rivière desséchée
Haie de cactus
Un âne claironne la queue en l’air
La petite indienne qui louche veut se rendre à Buenos Aires.

Il y en a des pages, comme ça. M. Mario de Andrade, qui révèle cette poésie nouvelle aux Brésiliens, trouve qu’elle est cosmique, ample, palpitante, qu’elle réalise une correspondance exacte entre l’expression formelle et le lyrisme pur, à laquelle se lie, par l’effort de l’attention, l’équilibre entre la manifestation subconsciente et la conscience.

Le poète que M. de Andrade cite, commente et glorifie, est M. Blaise Cendrars. On lit dans le même numéro de la Revista do Brasil :

Il y a plusieurs semaines que se trouve parmi nous le poète Blaise Cendrars. Tous ceux qui se préoccupent du mouvement de la poésie moderne connaissent bien sa forte et originale personnalité…
…Saluons-le dans son météorique passage par ce 23°36’ de latitude et 3°27’ de longitude qu’est São Paulo.


Andrés Montserrat,
« La vie en Amérique latine/ Revues et journaux de l’Amérique latine » (extrait),
Revue de l’Amérique latine (Paris),
3e année, vol. vii, n°30, juin 1924, p. 562-563.


On trouvera l’article incriminé de Mário de Andrade (entièrement consacré à Cendrars), traduit en français, dans le volume L’Esclave qui n’est pas Isaura & autres textes critiques (Anthologie, 1921-1942), actuellement en préparation.

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